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Survie Midi Pyrénées

billets d'afrique et d'ailleurs

Côte d’Ivoire : élections, piège à c... !

7 Janvier 2011 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Billets d'Afrique et d'ailleurs

 


Côte d’Ivoire : élections, piège à c... !
 par Rafik Houra

 

Qu’on ne s’y trompe pas, les victimes de cette élection ne sont pas à chercher du côté des candidats. Tout porte à croire que chaque camp préparait depuis longtemps le troisième tour. Celui dans lequel s’opposent actuellement Gbagbo et la « communauté internationale ».

Mais c’est bien la population ivoirienne, à qui l’on servait depuis 2007, que la présidentielle allait clore la crise, qui se retrouve otage d’une situation politique binaire et violente. Les positions sont tranchées et les moyens mis en avant extrémistes.

 

De Marcoussis aux isoloirs, huit ans de statu-quo militaire, de tensions toujours entretenues, de régression sociale et de marginalisation de la société civile. Huit ans ponctués d’accords politiques de dupes, de reconduction des contrats aux Bouygues et Bolloré. Huit ans dont le bilan le plus marquant est celui des exactions. Celles des rebelles, celles des milices et paramilitaires loyalistes, ou celles des soldats français.

On se souvient de Michel de Bonnecorse, conseiller de Chirac pour l’Afrique, sortant, en janvier 2007, d’une audience avec Blaise Compaoré, le président burkinabé. C’était quelques semaines avant les accords de Ouaga qui fi rent du leader rebelle, Guillaume Soro, le premier ministre de Gbagbo. Bonnecorse annonçait (Billets n°157) un règlement de la crise seulement à l’issue des élections : « Le but des pays raisonnables est qu’il y ait des élections libres et honnêtes en octobre, ce qui donnera un président légitime qui sera soit élu, soit réélu, et c’est à ce président de mettre un terme à cette crise. »


Il sous-entendait des élections sans réunification du pays et sans désarmement des rebelles. Au lendemain des accords de Ouaga, la rumeur annonçait Gbagbo tranquille jusqu’en 2010. Bonnecorse et la rumeur ont eu raison. Dans son communiqué de presse du 23 décembre, « Côte d’Ivoire : la France pyromane ne doit pas jouer au pompier », Survie constatait donc la « responsabilité de la diplomatie française dans l’impasse » actuelle. Rappelant plus particulièrement la tuerie de novembre 2004, l’association Survie réclamait de la France « le retrait de son opération militaire au profit de troupes internationales sous commandement onusien.  »

Par ailleurs, le descriptif du Programme d’appui au processus électoral impulsé par l’UE au travers du PNUD annonçait : « Pour les prochaines échéances électorales, il est à prévoir que le problème de confiance se posera avec une acuité encore plus grande et exigera le recours à des pouvoirs décisionnels exceptionnels pour contrecarrer l’incapacité d’atteindre des consensus politiques en temps utile. »


De 2006 à aujourd’hui, deux programmes se sont succédé, au bénéfice principalement de la Commission électorale Indépendante (CEI) pour des montants de 58 et 75 millions de dollars. Les organisations de la société civile en ont aussi bénéficié, dans une moindre mesure.


La résurrection du vieux parti d’Houphouët-Boigny ?

 

Fin 2010, c’est enfin l’heure du vote pour les Ivoiriens. Le premier tour a vu la mise à la retraite de l’ancien président Henri Konan Bédié, héritier du vieux parti unique (PDCI) d’Houphouët- Boigny.

L’entre-deux tours a vu la réactivation de l’accord politique scellé à Paris en 2005 réconciliant Ouattara et Bédié pour défaire Gbagbo au second tour. Oublié, le fait que le second instrumentalisa l’ivoirité, dans les années 1990, pour écarter le premier de l’arène politique. Le PDCI et le RDR de Ouattara, né d’une scission PDCI, se retrouvent artificiellement réunis au sein du nouveau parti Houphouëtiste, le RHDP.


Commission électorale non indépendante contre Conseil constitutionnel aux ordres

 

La composition de la CEI a été fixée par l’accord de Pretoria de 2005, qui se réfère aux signataires de l’accord de Linas-Marcoussis. Ces derniers accords rassemblaient trois mouvements rebelles – qui rapidement n’en firent plus qu’un –, quatre partis aujourd’hui rassemblés au sein du RHDP, le FPI de Gbagbo, et deux partis plus ou moins associés à Gbagbo. Compte tenu de son alliance réussie avec les rebelles et les Houphouëtistes, la CEI est très majoritairement favorable à Ouattara. Pour compenser sa composition partisane, les décisions de la CEI doivent être prises par consensus. Début 2010, Gbagbo avait obtenu la démission de la CEI après des manoeuvres douteuses de son président lors de la constitution des listes électorales. Le camp présidentiel avait tenté en vain de changer la distribution des cartes. À peine évoquée, l’idée d’y faire entrer la société civile avait avorté.


En revanche, le Conseil constitutionnel, calqué sur le modèle français, est contrôlé par le camp Gbagbo. Le scénario qui a mené au bicéphalisme actuel est le suivant : alléguant des fraudes, les membres de la CEI favorables à Gbagbo ont bloqué tout consensus sur les résultats du second tour. Le porte-parole de la CEI – issu des rebelles – tenta de passer outre et voulu annoncer des résultats régionaux. Devant les caméras, il en fut empêché par deux autres membres. Après trois jours de blocage, le Conseil constitutionnel prit le dossier en main. Avant que ce dernier ne se prononce, Youssouf Bakayoko, le président de la CEI, se rendit à l’hôtel du Golf, d’où il déclara Ouattara vainqueur. Le lendemain, le Conseil constitutionnel invalida le scrutin dans sept départements et déclara Gbagbo vainqueur.


La question de la fraude

 

Les chiffres de la participation ont alimenté les soupçons de gonflement des suffrages. La bonne participation annoncée le jour du vote (estimée entre 65% et 70%) est devenu excellente quelques jours plus tard avec les chiffres de la CEI (84% au premier tour, 81% au second). Six départements auraient connu un bond de participation entre les deux tours de 6 à 9,5 points, atteignant de 87% à 94% de participation au second tour. Tous ces départements, contrôlés par les rebelles, ont accordé leurs faveurs à Ouattara. Dans son rapport sur le second tour, la Convention de la société civile ivoirienne (CSCI) a regretté de ne pas pouvoir confronter ses données avec les procès verbaux recueillis par la CEI. Pour aller dans ce sens, il faut noter que la confrontation des données régionales ou nationales est insuffisante. Dans le même ordre d’idée, le nombre d’observateurs (100 observateur de l’UE, 1000 de la CSCI) devrait être accompagné de leur répartition sur le territoire, surtout dans le cas ivoirien. On sait par exemple que les renforts militaires de l’ONUCI, arrivés du Libéria pour les élections, se sont concentrés dans les zones où la mixité ethnique est la plus forte : Abidjan, Bouaké et les régions de l’ouest et du centre-ouest.


La « République du Golf »


Depuis les accords de Marcoussis, l’hôtel du Golf, où résident les ministres issus de la rébellion, est sécurisé par les casques bleus. Lorsque Bakayoko s’y rend, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara, Guillaume Soro, le représentant du secrétaire général de l’ONU et les ambassadeurs français et américain s’y trouvent déjà. Ces derniers lui promettent protection jusqu’à l’aéroport, en échange de la proclamation de résultats. Bakayoko annonce la victoire de Ouattara devant les caméras occidentales avant de s’envoler pour Paris.


Depuis, Ouattara et Soro vivent dans l’hôtel, véritable enclave sous protection de l’ONUCI et des militaires rebelles. Leur stratégie pour obtenir le départ de Gbagbo a connu trois phases. La première fut l’appel à leur partisans avec, le 16 décembre, un mot d’ordre lancé pour « libérer la RTI [Radio Télévision ivoirienne]  », qui s’est transformé en mot d’ordre de grève – peu suivi, sauf dans les transports. La seconde est la demande aux institutions internationales de geler les comptes de l’État ivoirien, de sanctionner l’entourage de Gbagbo et de ne plus reconnaître les ambassadeurs nommés par Gbagbo. Et finalement, l’appel à une intervention militaire étrangère pour déloger Gbagbo.


La mobilisation des jeunes patriotes

 

On note dans le gouvernement de Gbagbo la présence de Charles Blé Goudé, le « général » auto-proclamé des « jeunes patriotes ». Blé Goudé organise des meetings dans certains quartiers d’Abidjan pour mobiliser contre Ouattara, Soro, l’ONUCI, Licorne. Sans appeler directement à la violence, il dérape volontiers, annonçant un génocide à venir perpétré par les « forces impartiales », appelant des manifestations « à mains nues » à déloger par tous les moyens Soro, ses rebelles de la « République du Golf » et les « forces impartiales ».

Il appelle en même temps à ne pas s’en prendre aux résidents français, ni à leurs entreprises. Blé Goudé espère montrer, en mobilisant les foules, que Gbagbo est indélogeable.


Les deux visages d’Abidjan

 

Il existe actuellement deux visages d’Abidjan. La capitale ivoirienne est fortement divisée, comme le montrent les chiffres acceptés par les deux parties, même s’ils sont légèrement à l’avantage de Gbagbo avec 52% des suffrages exprimés et 83% de participation au second tour. D’une part, les quartiers huppés et une partie des quartiers populaires ont majoritairement voté Gbagbo. Les autres sont, depuis la manifestation du 16 décembre, sous l’étroite surveillance des « corps habillés » – policiers, gendarmes, paramilitaires... – restés fidèles à Gbagbo. La journée du 16 a enregistré entre vingt et trente morts selon les deux camps. À en croire l’ONU, un mois après le second tour, le bilan serait proche de 173 morts, principalement parmi les partisans de Ouattara. La peur règne dans les quartiers Dioulas. Des informations inquiétantes circulent, faisant état de barrages tenus par des paramilitaires anglophones, d’enlèvements de nuit. Le 19 décembre, un charnier aurait été découvert près d’Abidjan. L’ONU n’a pas encore pu se rendre sur place.


Soro et Choi, le représentant de l’ONU, évoquent des escadrons de la mort à la solde de Gbagbo, des mercenaires angolais, libériens ou sierra-léonais. Le diplomate français, Alain Le Roy, chef du département des opérations de maintien de la paix de l’ONU, a confirmé la présence de mercenaires libériens.


Retour à la case CPI ?

 

Comme en 2003, la possibilité de traduire Gbagbo et son entourage devant la justice internationale est évoquée. La liste des crimes impunis en Côte d’Ivoire est longue, tant de la part des loyalistes que des rebelles. Mais jusqu’ici les menaces d’inculpation sont restées au stade du chantage diplomatique.


Début 2003, les médias français se sont fait l’écho d’une enquête en cours liant l’entourage du président ivoirien aux escadrons de la mort qui sévissait à Abidjan (Billets n°113). Elle est toujours restée à l’état d’enquête ouverte et ne s’est jamais concrétisée par une inculpation. Il s’agit manifestement d’un dossier qu’on gardait sous le coude... Le Monde et Paris- Match ont été condamnés pour avoir lié la présidence ivoirienne aux escadrons de la mort. La mouvance rebelle proche d’Ibrahim Coulibaly (surnommé « IB », ancien garde du corps de la famille de Ouattara, mêlé au renversement de Bédié en 1999 et présenté en 2002 comme le parrain de la rébellion) avait constitué un dossier sur les crimes du régime Gbagbo, mais pendant l’été 2003, elle avait été mise hors jeu, suite à l’arrestation d’IB par la DST à Paris, après une enquête du juge Bruguière (Billets n°188).


C’est à ce moment que Soro a vraiment pris les rênes de la rébellion, que le chemin de fer ivoiro-burkinabé exploité par Bolloré a pu à nouveau circuler. C’est aussi à cette période que l’État ivoirien a renoué avec le grand patronat français. En mai 2008, Gbagbo pouvait déclarer « il faut quand même que les gens sachent que dans tous les grands choix que nous avons opérés, ce sont les entreprises françaises que nous avons choisies ».


Impatience française


Pour le Grigri International (24 décembre), « Aurore Bergé, ambitieuse candidate en 2008 à la direction des Jeunes populaires de l’UMP » est la première à annoncer une victoire de Ouattara, le lendemain du second tour. Deux jours plus tard, le site d’information Euronews affichait un bandeau annonçant la victoire du même Ouattara, avant de s’excuser, invoquant un « problème technique » – (sic). Mais dès la nuit du second tour, le journaliste Jean-Paul Ney annonçait sur son site (LesGrandesOreilles) la victoire de Ouattara en accumulant des faits grossièrement faux : « Le couvrefeu n’est plus respecté par les gens qui dansent dans les rues », « le mouvement militaro-civil pour la libération du peuple (MCLP) menace de faire sauter le président sortant », « À Paris, une source de la DGSE confirme la victoire sans appel de Ouattara ».


L’audiovisuel français tape d’ailleurs fort en matière de désinformation. Sur France 5 les téléspectateurs ont appris qu’en 2000, c’est Gbagbo qui a surfé sur l’ivoirité pour évincer Alassane Ouattara (C dans l’air, 06 décembre). Antoine Glaser, dans une grande confusion, met tout sur le dos de Gbagbo sur France Inter « [Gbagbo] est arrivé au pouvoir en ayant écarté Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. Et finalement les socialistes à l’époque quand Henri Konan Bédié a [subi] le coup d’état, on était en cohabitation, Jacques Chirac à l’époque avec le conseiller Michel Dupuech, ils étaient pour remettre Bédié au pouvoir. Les socialistes ont dit non, il y a notre camarade Laurent Gbagbo qui peut quand même arriver » N’oublions pas enfin Michèle Alliot- Marie (Europe 1, 1er décembre) : « La Côte d’Ivoire a toujours été un modèle de démocratie en Afrique ».


Sanctions


Il existe un groupe d’experts nommé par l’ONU dont nous avons salué le travail à plusieurs reprises (Billets n°192). Son rôle est de contrôler l’efficacité de l’embargo sur les armes et de rapporter les infractions relevant du comité des sanctions. On s’étonne que son rôle n’ait pas été mis en avant à l’heure où tombent de nouvelles sanctions. Il a sans doute le tort d’avoir mené son travail en zone rebelle aussi bien qu’en zone gouvernementale. C’est sans doute pour cette raison que son rapport annuel, qui aurait dû être publié mi-octobre, est inaccessible ! Notons que parmi la soixantaine de personnes sous le coup de sanctions de la part de l’UE figure l’ex-légionnaire Frédéric Lafont (Billets n°196).


Offensive sarko-américaine


Devançant l’Élysée, l’administration américaine a été la première à soutenir le « nouveau président » Ouattara. L’offensive diplomatique américaine contre Gbagbo éclaire d’un jour nouveau deux incidents relevés précédemment (Billets n°195) : l’interdiction faite au président du FPI de se rendre aux États-Unis cet été et l’arrestation d’un militaire envoyé par le gouvernement ivoirien pour acheter du matériel de maintien de l’ordre peu avant les élections. Le duo franco-américain à l’ONU s’est dans un premier temps heurté à la Russie avant que celle-ci accepte la position occidentale.


L’Union africaine s’est alignée tandis que la CEDEAO, emmenée par le Nigérian Jonathan Goodluck, prenait les devant, menaçant très tôt Gbagbo d’un recours à la force. Le téléphone a bien fonctionné entre Obama, Sarkozy et Goodluck.


Dès le 8 décembre, donc moins d’une semaine après la dispute électorale, Soro déclarait au Parisien : « J’espère pouvoir compter sur la capacité de tous les défenseurs de la démocratie, des Africains comme de la communauté internationale, pour imposer à Gbagbo de céder le pouvoir comme hier les Etats-Unis l’ont fait avec Charles Taylor au Liberia. » Soro a retrouvé sa hargne du début de la rébellion, celle qui laissait deviner qu’il s’appuyait sur de puissants appuis.


Cet appel fait froid dans le dos à plus d’un titre. L’Ecomog – l’armée nigériane sous couvert de la CEDEAO – avait été envoyée combattre Charles Taylor et c’est bien ce dont on menace aussi Gbagbo. Mais cette force et ses nombreuses exactions sont de sinistre mémoire. Elle fut totalement inefficace. Assez ironiquement, la rébellion ivoirienne dont Soro est le leader avait reçu le soutien du criminel de guerre Charles Taylor. Ce sont finalement des milices libériennes, appuyées par les États-Unis et, régionalement par Gbagbo, qui renversèrent Taylor. Quant au Sierra Leone, l’Ecomog n’y a pas évité l’intervention britannique. Si le Nigeria intervenait en Côte d’Ivoire, ce serait le signe d’un tournant stratégique considérable.


Le consentement de l’Élysée pour cette solution, serait un nouveau signe de la proximité de vue entre le locataire de l’Élysée et la diplomatie américaine. Certains réseaux français verraient d’un très mauvais oeil une intervention anglo-saxonne lourde en Françafrique.


Du point de vue régional, le tandem Foccart-Houphouët avait donné à la Côte d’Ivoire un rôle de pivot de l’impérialisme français dans l’aire ouest-africaine face au géant nigérian. Cette rivalité avait atteint son paroxysme avec la guerre du Biafra et dans une moindre mesure la guerre du Libéria.


Au moment de l’arrivée annoncée d’un bâtiment militaire néerlandais à la demande des autorités françaises (RNW, 22 décembre), on lit dans un télégramme de la diplomatie américaine que les Néerlandais sont un allié très important en Europe qui « envisage d’accroître sa présence militaire en Afrique », particulièrement, mais pas seulement, en Côte d’Ivoire.


Mi-décembre, le premier ministre kenyan suggérait de déloger Gbagbo par la force. Deux semaines plus tard, l’UA lui demande d’assumer ses propose et « d’assurer le suivi de la situation en Côte d’Ivoire et de renforcer les chances de succès des efforts en cours » !

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Niger, interview de Moussa Tchangari : « Difficile d’accepter la présence de soldats français »

4 Novembre 2010 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Billets d'Afrique et d'ailleurs

 

Billets d’Afrique196 - novembre 2010 
Niger, Moussa Tchangari :
« Difficile d’accepter la présence de soldats français »

 

 

Le 31 octobre 2010, les Nigériens ont été appelés à un référendum sur le nouveau projet de Constitution présenté par la junte au pouvoir depuis le 18 février 2010. Cette première étape doit permettre le retour de la démocratie au Niger. C’est l’occasion de revenir sur ces mois de « transition militaire », marqués par une sévère crise alimentaire et par le retour de l’armée française dans ce pays hautement stratégique pour la France.

Entretien avec Moussa Tchangari, secrétaire général de l’association Alternative Espaces Citoyens et membre du Conseil consultatif national.


Billets d’Afrique - A quelques heures du référendum constitutionnel au Niger, quel regard portezvous sur la conduite de la transition depuis le coup d’Etat ?


Moussa Tchangar - Nous sommes à une étape cruciale, puisque après le référendum constitutionnel, nous entamerons la préparation des scrutins pour les élections locales, législatives et présidentielles. La junte va organiser les élections comme elle s’est engagée à le faire. Tout le monde semble ériger la tenue des élections comme étant le premier critère pour évaluer la réussite de la transition elle-même. Qu’elles soient libres et transparentes, et quels que soient les résultats qui sortiront des urnes, pour la majorité des parties prenantes du processus – les bailleurs, les partis politiques, la junte – l’essentiel est que ces élections aient lieu. Je ne suis pas d’accord avec ce genre de raisonnement.

Il faudra apprécier la qualité de la transition en fonction des résultats. Même si le projet de constitution qui est soumis au vote, est certainement meilleur que les constitutions précédentes, au Conseil consultatif, nous sommes resté un peu sur notre faim. En effet, une partie des propositions majeures que le Conseil consultatif national a faites ont été rejetées par la junte. Le droit de pétition pour les citoyens leur permettant d’initier des projets de lois, ou la possibilité pour des citoyens d’attaquer des textes de lois devant la Cour constitutionnelle, la saisine par voie d’action directe, tout cela a été retiré du texte final par les militaires.

Le type de cadre démocratique qu’ils ont en tête ne correspond pas forcément à ce que nous voulons.


Est-ce que cela aurait pu se passer différemment si le processus avait été mené par une assemblée constituante ?


Bien sûr. Les militaires n’ont pas voulu passer par l’étape de la constituante. Ils sont restés sur leur première idée, c’est-à-dire la mise en place d’un comité de rédaction des textes fondamentaux, puis la soumission de ces textes au Conseil consultatif national pour lecture et proposition d’amendements.

La junte aurait pu accepter le projet d’une assemblée constituante, mais cela ne correspondait pas aux intérêts de certaines forces, particulièrement les bailleurs internationaux et les partis politiques nigériens, pour qui il fallait surtout que le processus de transition se déroule rapidement.

Pour eux, l’objectif principal de la transition était surtout que les élections se tiennent rapidement. Pourtant, la démarche de constituante aurait pu être un bel exercice pour le Niger. Nous aurions pu nous passer du régime de transition militaire et réaliser une transition telle que prévue dans la constitution de 1999. Mamadou Tandja avait fini son mandat au moment du coup d’Etat, c’est la Cour Constitutionnelle, qu’il avait auparavant dissoute, qui aurait pu assurer un intérim pour organiser l’élection d’une assemblée constituante.

Les partis politiques nigériens n’étaient pas favorables à cette solution, et même parmi les forces sociales beaucoup ont préféré applaudir le coup d’Etat et suivre les orientations de la junte.


Comment apprécier la place donnée à la société civile dans le processus de transition ?


C’est assez faible finalement. Quelques personnes ont été désignées pour diriger des institutions de transition comme le Conseil consultatif national, d’autres personnes comme nous ont été cooptées pour en faire partie, mais cela ne traduit pas forcément une influence de la société civile. Il faut bien voir que tous les pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire..) sont détenus par la junte, même le gouvernement ne représente pas grand-chose, le premier ministre n’est pas chef du gouvernement. De même, le Conseil consultatif ne peut discuter que sur les questions dont il est saisi, il ne peut pas décider de lui-même ce dont il va débattre. L’ordre du jour des discussions est décidé par le président du CSRD (Conseil suprême pour la restauration de la démocratie, intitulé de la junte), qui décide également de la durée des discussions.

Je n’estime pas que la société civile joue un grand rôle. Prenons l’exemple du projet de Constitution issu du Conseil consultatif, ce projet était assez consensuel, il aurait pu être accepté intégralement par la junte, mais ils l’ont changé, ils ont enlevé ce à quoi la société civile tenait le plus, à la demande des partis politiques, minoritaires au sein du Conseil consultatif national.


Moussa Tchangari

 

En début de transition, la junte avait annoncé vouloir revenir sur les méthodes de gestion des sociétés nationales ainsi que sur les relations avec les compagnies minières. Une série d’audits avait été annoncée. Qu’en est-il actuellement ?


Il n’y a vraiment rien de sérieux, ils ont mis en place une commission de moralisation, mais c’est du déjà-vu pour les Nigériens et on sait que ça ne sert à rien et qu’ils n’obtiendront pas de résultats significatifs par ce moyen.

Ils auraient pu engager des vrais audits avec des cabinets indépendants et revenir sur la gestion de l’Etat sur dix ou vingt ans, que ce soit des entreprises ou de certaines entités étatiques. Ils ont préféré la mise en place d’une commission de moralisation, qui interpelle des responsables de sociétés d’Etat et autres sur la base des travaux d’inspection faits précédemment. Même si des personnes ont été arrêtées, les plus gros dossiers ne sont pas touchés, les enquêtes ne sont jamais allées au fond. Sur la question des permis, mis à part le fils de Tandja et un ancien ministre qui ont été arrêté, d’après des informations déjà largement diffusées publiquement, le travail n’a pas eu lieu jusqu’à maintenant.


Et l’enquête sur la compagnie minière Semafo des mines d’or de Samira ?


Un travail a été fait par les parlementaires, mais aucune décision n’a été prise ni sur ce dossier, ni sur un autre. Ils auraient pu en profiter, dans ce cas précis, pour renégocier le contrat, mais je ne pense pas que ce soit cela qui les préoccupe en ce moment. Je n’ai rien vu dans ce domaine là, personne n’a touché aux positions des compagnies minières pour le moment.

Quelques personnes ont été arrêtées, mais cela ne suffit pas. Au Niger, tout le monde sait qui vole, qui pille et certains sont libres de se promener. On ne les a jamais appelés au niveau de la commission. Il n’y a pas de volonté d’assainir tout cela.


Les associations travaillant sur la surveillance des activités minières ont-elles été sollicitées par cette commission ?


Dès que la liste des membres a été connue, beaucoup de Nigériens ont été sceptiques. Certains de ses membres sont connus de la population pour avoir été mêlés aux « affaires », la question se pose de savoir s’ils sont qualifiés pour faire partie de cette commission ?

Toutes les personnes avisées ont tout de suite compris que rien ne se ferait. Cette commission n’a aucun rapport avec l’ITIE (Initiative pour la transparence des industries extractives), dont le Niger est signataire.

Chaque fois qu’il y a un coup d’Etat, ou un changement de régime, on met toujours en place ce genre de commission pour faire l’état des lieux et enquêter sur la gestion des précédentes autorités. Cela n’a jamais donné aucun résultat significatif. De toute façon, dans le cas présent, la commission n’a pas la capacité de décider ce qu’elle va regarder, elle regarde où la junte lui dit de regarder. Elle ne va pas décider d’elle-même d’enquêter sur les mines d’or ou sur Areva.


Le Niger a été touché par une grave crise alimentaire cette année. Comment la situation a-t-elle été gérée par les bailleurs et le pouvoir en place ?


Le régime militaire a reconnu dès son arrivée qu’il y avait une situation grave, ils ont lancé un appel à la communauté internationale. Après le régime précédent qui niait l’existence de crises alimentaires. un problème, c’est déjà ça. Mais il aurait fallu véritablement mettre en oeuvre les moyens pour remédier à la situation.

La communauté internationale n’a pas réussi à mobiliser toute l’aide promise. Certaines actions ont permis d’atténuer un peu les souffrances, mais nous avons tout de même perdu près de la moitié du cheptel et les populations ont extrêmement souffert. La gestion de cette crise montre que l’Etat n’a pas fait d’effort extraordinaire, et la crise n’est pas finie, il faut maintenant reconstituer le cheptel, et avoir de bonnes récoltes, les gens sont lourdement endettés. Mais même une bonne récolte une année ne résout pas le problème : cela doit interpeller sur la nécessité de prendre au sérieux la question de la souveraineté alimentaire.

Nous avons organisé un grand forum pour interpeller les pouvoirs publics sur leur devoir de garantir le droit à l’alimentation et de réaliser la souveraineté alimentaire, du 16 au 18 octobre 2010. Nous avons bien sûr invité les autorités actuelles mais personne n’est venu. Les politiques ne semblent pas montrer beaucoup d’intérêt pour ces questions, même si le gouvernement en place a dit qu’il allait organiser un forum international sur la sécurité alimentaire.


Quel est votre avis sur le déploiement important de forces militaires françaises, au Niger et au Burkina Faso, à la suite de l’enlèvement de sept employés d’Areva ?


Pour moi, c’est très grave. C’est très difficile pour moi d’accepter le fait que l’armée française débarque ici. Ils sont venus dans un premier temps pour préparer une intervention militaire, mais très vite ils ont changé de stratégie et préféré négocier, on se demande alors pourquoi ils ont déployé tous ces éléments ici.

C’est très grave que les pays sahéliens, acceptent le déploiement d’une force étrangère, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, alors qu’en fait il s’agit de prendre le contrôle du pays, c’est tout !

Cette présence est en lien avec d’autres enjeux, notamment ceux liés à l’exploitation des ressources naturelles. On ne devrait pas accepter cela. Avant les Français, les Américains avaient déjà leur projet pan-Sahel, ce que l’on constate c’est que les Français cherchent à reprendre le contrôle sur ce terrain-là avec la Mauritanie comme tête de pont pour les interventions. La lutte contre Al- Qaïda est une prétexte pour militariser toute la zone, il s’agit plutôt d’une compétition pour accéder aux ressources et les sécuriser. C’est inacceptable, après cinquante ans d’indépendance, d’assister au retour en force de l’armée française sur ce terrain ! C’est une honte !

Le gouvernement ne devrait pas accepter cela, la lutte contre ces groupes-là devrait être l’affaire de nos propres forces armées. Cela remet en cause gravement la souveraineté de nos pays.


Après le déploiement des militaires français au Niger, il y a eu très récemment des arrestations de membres de la junte – tous des militaires de haut rang. Comment analysez-vous cet événement ? Peut-on faire un lien avec la venue des forces armées françaises ?


Vous le faites vous-même ! Même vous, vous pensez qu’il peut y avoir un lien entre les deux choses et beaucoup le pensent ici également parce que le Niger est un pays stratégique très important pour la France. On sait qu’Areva a eu beaucoup de difficultés à un moment pour obtenir la signature du contrat d’Imouraren, ça a été très difficile. Si la situation permet à la France d’avoir une présence militaire renforcée ici, évidemment c’est important, pas seulement pour lutter contre le terrorisme, mais aussi pour contrôler plus étroitement le pays et reprendre les choses en main. Si au sein de la junte il y avait des éléments favorables et d’autres moins favorables à cette présence, cela peut expliquer les arrestations ; en tout cas, beaucoup ici le pensent. Ce n’est pas à un pays étranger de venir s’installer pour faire le maintien de l’ordre chez nous et assurer la défense de notre pays. Rien ne peut justifier cela.

Entretien réalisé par Danyel Dubreuil, le 30 octobre 2010

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Burundi : les élections au rabais de l’UE

8 Juin 2010 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Billets d'Afrique et d'ailleurs

Billets d’Afrique n° 192 Juin 2010 

Burundi : les élections au rabais de l’UE

 

A l’occasion des dernières élections communales, la mission d’observation européenne, quinze équipes de deux observateurs, pour 1 961 bureaux, se discrédite en reconnaissant « la bonne tenue du processus de vote » pourtant ubuesque.


Un très mauvais signe pour la présidentielle de juin.

Avec quinze équipes de deux observateurs pour 1961 bureaux de vote, « notre rôle est strictement technique. En aucun cas, il ne peut être politique ». Tommaso Caprioglio, chef adjoint de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne au Burundi est très sérieux.


Il le faut, car le pays vient de se lancer ce mois de mai, dans un marathon de scrutins. Élections communale (24 mai), présidentielle (28 juin), législative (juillet), et collinaires (septembre), cette année est donc le premier vrai test de la démocratie burundaise issue des accords d’Arusha : la possibilité d’une alternance.

JPEG - 73.3 koAlexis Sinduhije, journaliste et candidat à la prochaine présidentielle    
En meeting à Bujumbura. DR, Olivier Carles

 

Mais depuis cinq ans, malgré la cessation de la guerre, la dérive policière du gouvernement de Pierre Nkurunziza - leader du CNDD FDD - ancienne rébellion armée - aura à peine suffi à masquer la dramatique stagnation du pays.


Incompétence, corruption sont les mots qui reviennent dans toutes les bouches. Dans la rue le sentiment le plus partagé est qu’il « faut que cela change ». Pour cela le pays s’est lancé tout entier dans le grand cirque démocratique, à coups de meetings, de programmes plus ou moins populistes, et de la réintégration du dernier grand parti issu du Hutu Power : le Palipehutu FNL.


Il y a deux ans encore, ses militants menaient une lutte armée contre le gouvernement au nom de la « défense du peuple hutu », cette même « défense » qui conduisit le mouvement à revendiquer en 2005 le massacre de 170 réfugiés Banyamulenge du camp de Gatumba, sorte d’épilogue d’une décennie de violences et massacres.


Mais l’amnistie est ici une vraie religion, aussi Agathon Rwasa leader adulé et illuminé de la « légitimité hutu » peut-il désormais se produire comme la principale force d’opposition. En lice aussi, les figures immuables de la politique nationale, Uprona et Frodebu, sagement alignées derrière leurs figures tutélaires Louis Rwagasore et Melchior Ndadaye. Et puis un nouveau venu, Alexis Sinduhije, journaliste indépendant au discours résolument moderne et éloigné de toute ambiguïté communautaire.


De l’argent soudanais pour les élections

Les éléments sont sur la table et dans les mains d’une Commission électorale indépendante chargée de l’organisation des scrutins. De la campagne proprement dite, retenons surtout les démonstrations de force du FNL, aux militants surmotivés défilant des journées entières à Bujumbura et se rassemblant par groupes de 20 000 pour tenter d’apercevoir Agathon Rwasa prononcer son discours au milieu d’une protection hermétique de dix policiers en cercle autour de lui, l’impact du MSD, surprise relative, aux meetings conviviaux éclairés par le charisme d’Alexis Sinduhije, et enfin le budget énorme de la campagne du parti au pouvoir, sans commun rapport avec les autres.


T-shirts, casquettes, alcool, vélos (!) distribués, les bus du CNDD FDD sont toujours allés très loin sur les collines pour rassembler des foules énormes. Dans ce pays de rumeur, s’il est bien une certitude confirmée discrètement par les ambassades, c’est que l’argent du pouvoir vient du Soudan.


Mais qu’à cela ne tienne. Jusqu’à la fermeture du vote, tout le monde semblait croire en l’objectivité du scrutin. Certes, il y eut quelques faits « d’organisation » comme la distribution ubuesque de cartes électorales non triées, ou le défaut d’impression de bulletins de vote de quelques partis.


Il y eut aussi le soudain report de trois jours de l’élection, annoncé la veille au soir de la date initialement prévue, mais c’est un fait : le 24 mai, le pays a massivement voté pour ses communes. Premier test de la valeur électorale de chaque parti depuis cinq ans, l’opposition croyait fermement en ses chances. Avant de se prendre une douche froide. 90%. C’est grosso modo le nombre de conseils remportés par le CNDD FDD sur l’ensemble du pays.


Un score soviétique rectifié

Le chiffre parle trop vite ? Il est vrai que le scrutin était observé par les mandataires de chaque parti. mais le dépouillement a eu lieu le soir, dans l’obscurité seulement éclairé par quelques bougies. Et puis le 28, sur la base de rectifications arithmétiques et sémantiques, le chiffre national est brutalement rendu « raisonnable » : 65%.

Il demeure que 115 conseils sur 129 seront aux mains du président en exercice.


Dès lors, à défaut de la preuve irréfutable d’une tricherie à grande échelle, il ne reste que la présomption, le doute. En l’occurrence, le processus électoral était parfois aléatoire, manque de bulletins, présence de policiers armés près des urnes, mauvais comptes de votants, disparition de procès verbaux, etc…

 

Mais aussi la peur, et l’expression discrète d’un ultimatum : « Nous ou le retour à la violence… » Les partis de l’opposition ont aussitôt dénoncé le scrutin et réclamé une nouvelle élection.


Mais plus tard la mission d’observation européenne a vite publié un communiqué reconnaissant « la bonne tenue du processus de vote ». Il est vrai qu’avec quinze équipes de deux observateurs, pour 1961 bureaux, dans un pays ou les déplacements se comptent en heures, la Mission bénéficie d’un crédit incontestable.


Dans ce contexte, la validation du vote par l’UE endosse un rôle politique certain, n’en déplaise à M.Caprioglio. Drapé dans une légalité gracieusement accordée par l’Europe, Pierre Nkurunziza peut d’ores et déjà se frotter les mains pour la suite : avec une opposition aussi liliputienne, la seule question pour l’élection présidentielle à venir sera, pour lui, de trouver un allié pour ne tout de même pas battre un record « soviétique ».


Une donne finalement assez comparable à celle du Rwanda voisin , à ceci près que cette année il n’y aura pas d’observateurs à Kigali. Même pas la peine.

 

Isabelle Méricourt

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C’est pas sorcier, l’émission pédagogique de France 3 vire au publireportage pour les compagnies forestières.

8 Mai 2010 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Billets d'Afrique et d'ailleurs

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C’est pas sorcier, l’émission pédagogique de France 3 vire au publireportage pour les compagnies forestières.

Le 14 avril, France 3 a programmé, à 20 heures 35, une émission exceptionnelle de 110 minutes de « C’est pas sorcier » sur la forêt du bassin du Congo, assez justement intitulée « En route pour la jungle ». Cette émission a été financée principalement par l’AFD (Aide Française au Développement). Elle a été tournée entièrement sur la concession de la CIB (Congolaise industrielle du bois) en République du Congo (Congo Brazzaville). L’un des objectifs des réalisateurs était « d’enquêter sur la CIB ». L’AFD étant l’un des financeurs de la CIB [1], à laquelle il a accordé un prêt de 7 millions d’euros en 2005, il n’est pas difficile de comprendre que cette « enquête » était en fait destinée à faire la publicité de la CIB.


La conclusion ne nous étonnera donc pas : « Nous avons aussi confronté nos six mois d’enquête à la réalité du terrain, et transformé le regard que nous posons sur ce joyau de la planète. Le constat est clair  : l’exploitation du bois est une ressource vitale pour les États de la région, et offre des emplois à des milliers de personnes parmi les plus pauvres de la planète. Nous ne pouvons donc pas mettre cette forêt sous cloche, décider de ne plus y toucher pour la préserver à tout prix ! L’exploitation du bois doit se poursuivre… » [2]


Pour apprécier le sel de cette déclaration, précisons que la CIB a en concession au Congo 1,3 million d’hectares, ce qui en fait l’une des premières exploitations du bassin du Congo. Elle y emploie en tout et pour tout 1500 personnes. Elle vient du reste d‘en licencier 665 en raison de la crise mondiale. Dans le documentaire une vingtaine de personnes apparaissent Une dizaine d’Européens, presque exclusivement des Français, désignés respectivement comme chercheur, biologiste, spécialiste de la chimie des plantes pour les laboratoires Pierre Fabre, coordinateur de projet, directeur de production de la CIB etc. La dizaine de Congolais qui apparaît compte un couple de deux pygmées, un chef de patrouille des éco-gardes, un chef abatteur, un communicateur social etc.

Après cinquante ans d’indépendance la structure du personnel est toujours typiquement coloniale. Les Congolais ne dirigent rien dans l’exploitation de leur bois et dans la recherche pharmaceutique sur leurs plantes.


Ils n’en reçoivent pas non plus les bénéfices. Dans un rapport de 2004 effectué sur cette même exploitation de la CIB au Congo [3], Greenpeace observe que le pays ne s’est absolument pas développé depuis un demi-siècle, seuls les dirigeants se sont enrichis en bradant les ressources, que le secteur forestier est un secteur très rentable qui préserve un secret jaloux sur ses bénéfices : « Dans un contexte où la transparence reste absente et où la structure réelle des profits des compagnies forestières reste inconnue, la CIB a reçu une quantité importante de financements externes [...] Les bailleurs de fonds investissant actuellement des fonds dans des activités aidant les compagnies forestières à améliorer leurs opérations devraient commander des audits, transparents et indépendants, des structures de coûts et de profits des compagnies forestières opérant dans le bassin du Congo. [Des financements publics] presque exclusivement alloués aux grands exploitants forestiers privés. »


Des constantes durables

Aider les riches est une entreprise philanthropique trop méconnue. La fondation Chirac ne pouvait manquer de venir elle aussi au secours de la communication de la CIB. Elle a financé la radio communautaire Biso na Biso qui permet de diffuser aux populations la bonne parole des exploitants forestiers [4], à l’égard desquels Chirac a toujours eu une sollicitude particulière. Les habitants de la forêt ne sont pas près de menacer cet ordre centenaire, qui s’est mis au langage à la mode du développement dit durable.


Mais il y a des constantes, tout aussi durables. Par exemple le regard porté sur la communauté des pygmées Baaka par Fred, l’un des animateurs de l’émission de France 3, vaut son pesant de Sapelli  : « Ils n’ont d’ailleurs pas la notion du temps [...] Qu’est-ce qu’ils sont habiles en plus ! Ils marchent pieds nus tout le temps, voient des choses que nous on ne peut absolument pas voir et montent aux arbres avec facilité. Tout leur paraît simple, ils connaissent la forêt sur le bout des doigts, c’est très surprenant. » Quelle surprise en effet, ils n’ont même pas attendu qu’on vienne les instruire sur l’intérêt du bois !


Du bonheur de manier la tronçonneuse

Mais il faudra bien pourtant leur apprendre à se passer de leur forêt. Fred insiste « Il y a une chose qui est essentielle et qu’il faut dire, parce que j’ai l’impression que les gens ont du mal à comprendre ça, il est important d’exploiter cette forêt parce c’est la deuxième ressource pour les populations du pays après le pétrole. Les discours qui consistent à dire « il faut mettre cette forêt sous cloche », tenu par des gens qui vivent richement dans nos pays occidentaux, sont totalement déplacés et manquent de respect pour ces populations. » C’est vrai enfin, priver les Congolais du bonheur de manier la tronçonneuse et conduire des grumiers pour un salaire mirifique qui doit bien atteindre les 80 euros mensuels, c’est manquer de reconnaissance pour les malheureux dirigeants et actionnaires qui se dévouent en touchant leurs pauvres rémunérations et dividendes.


Odile Tobner

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Edito Billets d'Afrique et d'ailleurs: un demi siècle tout mauvais

16 Janvier 2010 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Billets d'Afrique et d'ailleurs

15 janvier 2010 Billets d'Afrique n°187
Édito Odile Tobner

Un demi-siècle tout mauvais


Le 21 juin 2009 un communiqué de l’Elysée déclare : « La célébration en 2010 du 50ème anniversaire de l’indépendance de quatorze ex-colonies françaises doit être l’occasion de souligner et de confirmer l’évolution des relations entre la France et l’Afrique subsaharienne qui doivent rester privilégiées tout en étant renouvelées, équilibrées et transparentes ».


Fort bien ! Hélas, dans le même communiqué on lit également : « Le président Nicolas Sarkozy a confié à l’ancien ministre Jacques Toubon "la mission de préparer et d’assurer la mise en oeuvre d’une initiative ’2010 - Année de l’Afrique’" ».


Sans avoir besoin de rappeler la vieille et longue histoire françafricaine de Jacques Toubon, notamment dans le cadre du Club 89, qu’il animait avec des gens comme Michel Aurillac, ancien ministre de la coopération, et Robert Bourgi, qu’on ne présente plus, on a pu se faire une idée de l’ « évolution », des relations « renouvelées », qu’il allait mettre en œuvre, dès les jours suivants. Jacques Toubon en effet est présent à Brazzaville avant, pendant et après l’élection présidentielle du 12 juillet 2009. Il y affiche un zèle outrancier pour Sassou Nguesso, cautionnant un processus électoral plus que douteux, attaquant le représentant de l’UE, Miguel Amado, pour ses critiques, qualifiées d’« ingérence », des conditions électorales. Toubon se démène à Brazzaville flanqué de son compère Patrick Gaubert, député européen UMP, président de la LICRA, celui qui fut accusé par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme d’avoir fait pression sur les familles des victimes du massacre du Beach, pour que Sassou puisse faire son propre procès pour innocenter ses sbires, alors qu’un procès était, et est toujours, en cours en France pour ces faits.


On ne saurait imaginer incarnation plus virulente de ce que la Françafrique a eu de pire dans sa longue histoire : mépris du peuple congolais, complicité avec un dictateur établi dans le sang de ses compatriotes, encouragement à la pire gestion mafieuse des richesses d’un pays exsangue. Si on avait voulu ôter toute crédibilité à cette opération du cinquantenaire on n’aurait pas fait mieux.


Mais Sarkozy ne s’est pas contenté d’introniser le vieux cheval de retour Allgood, en chantre de la nouveauté, il a lui-même payé de sa personne. Il faut voir la conférence de presse qu’il a tenue le 16 décembre à l’Elysée, entouré des représentants de 11 pays du bassin du Congo siégeant à la Commission des forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC), dont quatre chefs d’États, les présidents Sassou Nguesso du Congo Brazzaville, Biya du Cameroun, Déby du Tchad et Bozizé de Centrafrique. Cette prestation constitue un sketch françafricain caricatural. Aucun humoriste satirique n’aurait imaginé mieux. La séance dure en tout 35 minutes. Nicolas Sarkozy commence par présenter la brochette alignée à la tribune et exposer la question du bassin du Congo pendant huit minutes, puis il répond aux questions pendant dix minutes. A ce moment, il affirme en se tordant de rire (Ah la bonne blague en effet !) « Mais je ne suis pas le porte-parole ».


Denis Sassou Nguesso parle alors pendant cinq minutes pour « saluer les initiatives du Président Sarkozy », Idriss Déby pendant cinq minutes pour « demander à Nicolas Sarkozy d’organiser des réunions pour le sauvetage du lac Tchad », François Bozizé pendant quatre minutes pour « soutenir l’action de la France », Biya pendant deux minutes pour « dire merci » implorer qu’« on secoure financièrement les pays africains » qui sont « derrière le président Sarkozy ».


Dans son introduction Nicolas Sarkozy a demandé « qu’on tourne la page du débat sur la colonisation et la postcolonisation ». Comment le pourrait-on devant cette exhibition grotesque ? On imagine Sankara à cette tribune, comme il aurait dit très haut la réalité et remis les choses et les gens à leur place !


http://survie.org/billets-d-afrique/2010/187-janvier-2010/

Jacques Toubon sur la Politique Africaine de La France et 2010, année de l’Afrique:

http://www.youtube.com/watch?v=BJf4wvqOago

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Edito, Billets d'Afrique et d'ailleurs - Survie, 25 ans

3 Décembre 2009 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Billets d'Afrique et d'ailleurs

Billets d'Afrique et d'ailleurs- Décembre 2009

Survie, 25 ans

 

Le 24 juin 1981, sur l’initiative du Parti radical italien, on diffusait dans les plus grandes capitales de l’Occident un document contre l’extermination par la faim, signé par cent treize prix Nobel. Parmi ceux qui répondirent à cet appel, publié dans Le Monde, se trouvait un homme résolu, François-Xavier Verschave. L’association Survie-France fut créée en 1984 pour réaliser les objectifs de ce manifeste.


Le texte pointait clairement le « désordre politique et économique qui règne aujourd’hui ». Il posait l’axiome qui nous sert de guide : « Il faut que tous et chacun donnent valeur de loi au devoir de sauver les vivants, de ne pas tuer et de ne pas exterminer, que ce soit par inertie, par omission ou par indifférence ». Parmi les objectifs concrets, si celui d’augmenter et d’institutionnaliser l’aide a montré ses limites, il en est un qui reste essentiel : « Si les gens savent, s’ils sont informés, nous ne doutons pas que l’avenir puisse être différent de ce qu’il menace d’être et semble fixé pour tous et dans le monde entier. »


Un quart de siècle après, la situation est d’une urgence grandissante. La prévision selon laquelle il fallait s’attendre à ce que « notre époque » soit « celle de la catastrophe  », s’est révélée cruellement exacte. Le recours proposé s’impose toujours avec la même acuité : « Si ceux qui sont sans pouvoir et sans défense s’organisent, utilisant leurs rares mais durables armes – celle de la démocratie politique et des grandes actions non-violentes “gandhiennes”. »


Défendre la démocratie politique là où elle est menacée – et nous savons qu’elle n’est jamais acquise mais constamment soumise aux efforts d’intérêts extrêmement puissants qui n’ont de cesse de la vider, par tous les moyens, de son contenu effectif –, l’instaurer là où elle est absente, partout où l’intérêt des peuples est impudemment bafoué par ceux qui les gouvernent et les bâillonnent, profanant le mot de « démocratie » dont ils osent s’affubler, tel est le combat que nous avons engagé. Pour cela il suffit aux simples citoyens que nous sommes de nous lever et d’oser dire non à la passivité et la soumission à ce qu’on préfère appeler fatalité pour ne pas avoir à nommer les causes objectives des tragédies qui surviennent. Grâce en effet au courage et à la volonté obstinée d’un homme modeste, le manifeste des prix Nobel n’est pas resté, comme tant d’autres appels, une voix qui crie dans le désert, il s’est concrétisé dans l’existence d’une association, modeste elle aussi, à la mesure de nos moyens. François-Xavier Verschave n’a pas attendu que je ne sais quel bienheureux hasard lui donne les moyens de son action, il ne s’est pas découragé devant l’énormité de la tâche1, il a seulement commencé à marcher avec une poignée d’amis aspirant au même but, qui n’avaient que leur seul dévouement. Certains, comme lui-même, sont tombés sur le chemin, quelquesuns, comme Sharon Courtoux, l’associée des toutes premières heures, n’ont jamais renoncé à oeuvrer quotidiennement et bénévolement pour faire avancer les objectifs de l’association. Survie a conquis, au fil des années, une base solide de militants à l’enthousiasme indestructible et à l’engagement généreux et lucide, qui ne ménagent pas leur peine avec une joyeuse abnégation.


A tous, en ce vingt-cinquième anniversaire, il faut dire merci d’avoir, par leur exemple, montré qu’il n’est pas nécessaire d’être puissant matériellement pour « changer la vie » et peser sur le devenir du monde. Il suffit d’être fidèle à ses exigences et de leur accorder plus d’importance qu’aux soucis, même légitimes, qui ne doivent pas nous prendre tout entiers. Il faut laisser la part de l’action pour le rêve.


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Edito : Les faux médicaments de la fondation de Jacques Chirac

3 Novembre 2009 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Billets d'Afrique et d'ailleurs

Edito
Les faux médicaments de la fondation de Jacques Chirac 

 

Quand Jacques Chirac voulait devenir président de la République française il tenait, le 19 juin 1991, à Orléans, des propos violemment racistes sur l’ « overdose » d’étrangers, qui ne sont pas « les mêmes » qu’avant, « des Espagnols, des Polonais, des Portugais », mais sont « des musulmans et des noirs », plaignant le « travailleur français » d’avoir à supporter « le bruit et l’odeur » et exprimant sa phobie d’une natalité fantasmée comme pléthorique, « une vingtaine de gosses », assortie d’une évaluation aussi superlative que fausse du montant des allocations perçues, « sans naturellement travailler ».


Le MRAP porta plainte et fut débouté le 26 février 1992. Les magistrats estimèrent qu’il n’y avait pas de diffamation raciale car les propos en cause « ne constituent que des attaques vagues et générales, insuffisantes pour caractériser la diffamation ; qu’à supposer qu’elles constituent des expressions outrageantes, elles ne visent pas une personne ou un groupe de personnes suffisamment déterminé  ». Pourtant les musulmans et les noirs étaient nommément désignés. La justice sait se voiler la face quand il faut ne pas voir certaines obscénités.


Le même Jacques Chirac, ex président de la République, en quête cette fois de vedettariat international, entend maintenant se faire une image de bienfaiteur des pauvres noirs en donnant son nom à une « fondation pour le développement durable et le dialogue des cultures  ». On peut penser que c’est une gageure que de faire croire à la virginité d’une vieille pute, mais cela marche dans le monde tel qu’il est, où l’impudence est non seulement admise mais vénérée. Après avoir inauguré le « dialogue des cultures » par des propos outrageants que les juges estimèrent simplement « décousus », Chirac continue à faire dans le n’importe quoi. Entouré de sept chefs d’Etats africains complaisants (Bénin, Togo, Sénégal, Burkina Faso, Congo Brazzaville, Niger République Centrafricaine) il a lancé lundi 12 octobre « l’appel de Cotonou » destiné à « promouvoir la lutte contre le trafic de faux médicaments dont les victimes se comptent par dizaines de milliers ». Se porter au secours de l’industrie pharmaceutique, on n’en attendait pas moins de lui dans le faux-problème, alors que, en réalité, c’est l’absence totale de tout médicament qui hâte la mort de centaines de milliers d’Africains. Mais évoquer ce vrai problème amènerait à pointer la responsabilité des faux présidents et de tous les faux apôtres engendrés par le marché de la bienfaisance médiatisée.


Le président Chirac n’a en effet jamais eu le moindre état d’âme à cautionner, pendant ses mandats et sa carrière politique, toutes les fausses élections qui se sont déroulées en Afrique francophone. Il cajolait même les faux présidents, les assurant de son affection. Eyadema pouvait faire assassiner ses opposants, Biya faire tirer sur les manifestants, Bongo mettre son pays en coupe réglée, ce ne sont pas ces vétilles qui pouvaient altérer l’indéfectible soutien que Chirac leur apportait, dans une Afrique qui « n’était pas mûre pour la démocratie  » et devait donc se contenter de ces ersatz de dirigeants. Le résultat bien sûr ne l’inquiétait pas non plus : corruption des oligarchies arrogantes assurées de conserver le pouvoir quoi qu’elles fassent et ne fassent pas, stagnation et régression du niveau de vie de populations privées d’éducation et de soins, surmortalité infantile, absence d’emplois faute du moindre développement. Il y avait des généraux, équipés de vrais armements français vendus au prix fort, conseillés et entraînés par de vrais militaires français, pour maintenir l’ordre. N’était-ce pas l’essentiel en ces contrées exotiques ?


Aujourd’hui les actions médiatiques de la fondation Chirac, la mascarade du forum pour le développement durable sont les plus scandaleux des faux médicaments qui sont fourgués aux Africains pour perpétuer leurs maux sous couvert de les guérir.

Odile Tobner

 

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Edito Bda : "Enterrement en Françafrique"

6 Octobre 2009 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Billets d'Afrique et d'ailleurs

Billets d'Afrique et d'ailleurs, n°184, octobre 2009

Edito
Enterrement en Françafrique

Il y a plus de dix ans, en 1996, dans son livre La Françafrique, François-Xavier Verschave, avait mis en lumière les relations singulières autant qu’occultes que le pouvoir politique français entretenait avec les dirigeants de l’Afrique francophone, sujet largement ignoré par l’information en France. Cela engendra ensuite un certain nombre de publications pour persuader l’opinion que cette Françafrique, qui n’avait jamais existé, n’existait plus désormais [1], la politique française ayant bradé son influence en Afrique, faute de moyens.


La nouvelle de cette mort semblait cependant exagérée, à tel point que, lorsque Jean-Marie Bockel, en charge du secrétariat d’Etat à la Coopération, parla, en janvier 2008, d’enterrer la supposée défunte, cela ne provoqua pas un simple sourire amusé, à l’adresse quelqu’un qui n’est manifestement pas au courant, mais une véritable tempête, à l’égard de quelqu’un qui commet un sacrilège en violant un tabou. La réaction fut en effet vigoureusement françafricaine. La morte se portait très bien et avait même toutes ses dents pour se défendre. Jean-Marie Bockel en fit l’amère expérience.


Bongo, tombeur de Bockel, disparu, l’épisode suivant du feuilleton, avec sa succession – ne parlons pas en effet d’élection, ce serait aussi très largement exagéré – dévolue à son fils Ali, vient d’apporter son lot de rebondissements. D’abord une incroyable prestation de l’inénarrable Robert Bourgi, sur RTL le 9 septembre 2009 [2]. Impensable ailleurs qu’en France cette pantalonnade restera dans les annales. On y entend, entre autres, un récit, en pur style françafricain, de l’éviction de Bockel qui démontre à quel degré de ridicule sont assujetties les relations diplomatiques entre la France et l’Afrique. Dire, comme on l’a entendu, que ce style de relation est inévitable c’est avouer que croire à une réelle démocratie, c’est bon pour les gogos. Jamais l’aspect mafieux de la politique africaine de la France ne s’était exhibé avec une telle suffisance. Les très molles réactions de l’entourage de Sarkozy et du gouvernement sont inquiétantes. On est obligé de poser la question.


Que doivent-ils donc à Robert Bourgi ? Ce personnage ne brille ni par son intelligence ni par son sens politique. Il perpétue caricaturalement un foccartisme paternaliste et raciste, dans la mesure où ce serait ce type de relation qui conviendrait en Afrique. En réalité ce qui est aveuglant dans cette prestation c’est que la France n’a aucun rapport avec ceux qui seraient les représentants des peuples africains, ce qui supposerait une certaine dignité, mais seulement avec les despotes ubuesques qui se maintiennent au pouvoir avec son assentiment et je ne sais quel échange honteux de complaisances mutuelles. Bourgi est sans doute la pincette qu’il faut prendre pour serrer certaines mains.


Ensuite et surtout, ce qui a été enterré à nouveau au Gabon par la force, après l’avoir été au Congo Brazza, au Niger, en Mauritanie, au Cameroun, pour ne parler que des cas tout récents, c’est l’aspiration au changement de la masse de la population africaine, écrasée dans l’oeuf comme d’habitude. Il faut que l’inexpugnable système françafricain soit bien férocement vivant et agressif pour que les vagues de contestation dont il est l’objet viennent régulièrement se briser sur son impavide réalité. On peut certes prophétiser son inéluctable démantèlement mais on ne cesse d’être stupéfait de sa résistance et de sa pérennité. Dans son blog La pompe à phynances, Frédéric Lordon affirme : « De quoi Ubu est-il fondamentalement la figure ? Du despote parasitaire ». Cette figure monstrueuse d’un pouvoir qui prend tout, ne donne rien et tire sa force herculéenne de cette spoliation radicale et cynique devait s’incarner en Afrique.

Odile Tobner

[1] Par exemple : Comment la France a perdu l’Afrique, Glaser et Smith, Hachette 2006

[2] Voir Le cas Bourgi, page 11

Au sommaire de ce numéro:
LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUE

EDITORIAL
Enterrement en Françafrique

 GÉNOCIDE RWANDAIS
Interview de Patrick de St-Exupéry
Militaires et politiques français savaient qu’il y avait des mercenaires francais

2010 Année de l’Afrique.  Toubon : les colonisateurs ont « porté au monde en quelque sorte, toute une partie de la planète qui n’existait pas jusque là »

CAMEROUN Affaires de nègres Un docu retraçant la création d’un escadron de la mort composé de militaires, policiers et gendarmes

NIGER “MA VIE EST MENACÉE” Le témoignage de Marou Amadou, président d’un important goupement d’associations de la société civile nigérienne

GABON Bongo à perpétuité Les Gabonais condamnés à une succession dynastique. Décryptage du coup d’Etat électoral d’Ali Bongo

 

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Billets d'Afrique n°178, mars 2009

6 Mars 2009 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Billets d'Afrique et d'ailleurs

Billets d'Afrique n°178, mars 2009

Le mensuel de l'association Survie
SOMMAIRE


- LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUE

  • Le blues du businessman
  • Circulez ! Il n’y a plus rien à voir
  • Mayotte : un gros mensonge
  • Mayotte : Une porte de sortie ?
  • La part des “anges”

- FRANCE
Happy birthday, la « rupture » !
Un an après le discours du Cap, où en sont les changements annoncés par Nicolas Sarkozy en matière militaire dans la politique de la France en Afrique

- FRANCE RWANDA
Les complicités de la classe politique française
La complicité française dans le génocide reste un sujet tabou pour notre classe politique. Retour sur quinze ans d’omertà pesante.

- CONGO-RWANDA
Sarko : « La France n´a pas à rougir de ce qu´elle a fait »
Dans une interview accordée à la presse congolaise, Nicolas Sarkozy, est revenu sur son discours tenu, le 16 janvier, devant le corps diplomatique français. Certains de ses propos avaient scandalisés les Congolais.

- PIERRE PÉAN
Le monde selon P. : Puant !

Sous couvert de « scoop » sur Bernard Kouchner, le nouveau livre de Pierre Péan constitue, en fait, la suite de la campagne négationniste au service de ceux qui craignent d’avoir à répondre un jour de complicité de génocide.

- UNION DES COMORES
Débat parlementaire sur Mayotte : retenir le meilleur ou le pire ?
C’est sans doute la première fois depuis 1981 qu’il est rappelé à l’Assemblée nationale et du Sénat que la France occupe illégalement Mayotte. Un débat qui intervient à quelques jours du référendum pour la départementalisation de l’île.

- MAURITANIE
Péril en la demeure
Au pouvoir depuis le coup d’État du 6 août 2008, la junte mauritanienne, réunie en Haut Conseil d’État (HCE), mène le pays dans une impasse très dangereuse. La France conserve des positions très ambiguës.

- CAMEROUN
Une répression sanglante
Un récent rapport pointe les violations des Droits de l’homme commises à l’occasion des troubles politiques et sociaux de février 008. Des violations qui n’ont pas ému la France.

- CAMEROUN
Ambiance délétère
Le régime de Paul Biya, sourd à toute critique, tance la communauté internationale

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Billets d'Afrique et d'ailleurs - janvier 2009

9 Janvier 2009 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Billets d'Afrique et d'ailleurs

Nuages sur l'An Neuf
 

On change d’année dans un climat qui a rarement été aussi délétère. La crise financière, largement prévisible mais que personne n’avait prévue parmi ceux qui nous chantaient les louanges du libéralisme comme horizon indépassable du monde où nous vivons, la recrudescence des conflits sans issue, comme des plaies qui ne pourront jamais se fermer parce que trop d’intérêts et de rancoeurs les maintiennent ouvertes irrémédiablement, assombrissent nos pensées.


Il est très amer de constater que les grandes puissances, frappées dans leurs banques et leurs entreprises financières par le désastre engendré par les spéculations sans frein, voire les escroqueries de leurs héros traders, ne se sont pas vu imposer par le FMI et la Banque Mondiale des Plans d’Ajustements Structurels. Ces fameux plans avaient été sévèrement imposés aux pays sous-développés surendettés, avec les mesures drastiques qui ont étranglé leurs économies et jeté sur la route de l’exil des masses de miséreux, tout cela au nom de la saine gestion. La vertu prêchée par ces saintes institutions est à usage exclusivement des petits et des pauvres, comme on le sait depuis qu’il y a des religions. Celle de la finance ne fait pas exception à la règle.


L’ensemble de la dette des pays sous-développés est de 2800 milliards de dollars. Quand on éponge quelques centaines de millions par ci par là, cela fait l’objet de commentaires extasiés sur la « générosité » des créanciers mais les pays qui en bénéficient doivent en retour offrir à la privatisation les secteurs rentables de leurs services publics. En revanche les USA vont débourser sans barguigner 700 milliards de dollars et les autres pays développés ne seront pas en reste pour parer aux destructions de capitaux qui ruinent en cascade leurs économies. Mais, en contre-partie, il n’y a pas d’assainissement sévère de prévu, comme de supprimer les paradis fiscaux. Plutôt que de reconnaître et de purger les vices du système, on va tout faire pour le sauver avec ses tares, parce que ce système financier mondial n’est pas destiné à favoriser la prospérité de tous les Etats mais à garantir les privilèges exorbitants de quelques uns.


Les guerres, dont la spéculation financière se nourrit et qu’elle alimente ont donc de beaux jours devant elles. L’année 2008 a vu flamber des conflits latents et tout d’abord le plus sanglant d’entre eux, celui qui ne cesse de ravager l’Est du Congo. On a pu parler de guerre du Coltan pour ce conflit interminable dont l’aliment et l’enjeu sont l’exploitation de minerais hautement stratégiques car indispensables à l’industrie des outils de communication. En dix ans, quatre rapports de l’ONU ont dénoncé les acteurs de cette exploitation, sans aucun résultat. La population, soumise à la terreur, se jette sur les routes pour échapper aux travaux forcés, aux viols et aux massacres. Depuis trois mois quelque 250 000 personnes sont venues augmenter le nombre des personnes déplacées à l’intérieur de la RDC, promises à un sort misérable. L’impuissance des 17000 soldats de l’ONU (MONUC) présents en RDC à protéger les populations est un scandale supplémentaire.

Cette inefficacité est due à l’absence de volonté et de cohésion dans la direction des opérations. Elle révèle l’hypocrisie des puissances qui dominent l’ONU. Les décisions vertueuses prises en haut lieu restent lettre morte sur le terrain, où l’on ferme les yeux sur la réalité des trafics et des exactions. Les enfants du Congo continueront cette année à creuser des galeries sommaires, qui s’écrouleront parfois en les ensevelissant, ils remueront des tonnes de terre pour extraire quelques grammes du précieux métal et pour quelques sous. Au dessus d’eux toute une chaîne de spéculation fera se multiplier la richesse de ceux qui tiennent les armes et des multinationales qui négocient, transforment et utilisent cette matière première. La seule véritable urgence c’est de secourir les actions qui baissent.

Odile Tobner

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