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Survie Midi Pyrénées

actualites francafricaines, communiques, archives.

Pour la restitution des avoirs illicites de Mobutu en Suisse à la population congolaise

2 Décembre 2008 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Actualités françafricaines, communiqués, archives.


2 décembre 2008.


Des ONG congolaises et internationales réclament la restitution des avoirs illicites de Mobutu en Suisse. Communiqué de presse

Onze ans après la chute du dictateur congolais Mobutu, sa famille est sur le point de se voir restituer, le 15 décembre prochain, 8,3 millions de francs suisses, soit environ 5,5 millions d’euros d’avoirs saisis en Suisse depuis avril 1997. Le motif invoqué par les autorités suisses est que le gouvernement congolais (RDC) n’a pas soutenu la procédure d’entraide judiciaire qui aurait permis la restitution des fonds à l’Etat.


Nous, organisations de la société civile congolaise et internationale, exhortons la Suisse et la RDC à utiliser tous les moyens possibles pour restituer les avoirs de Mobutu à la population congolaise. Reverser cet argent illicite à ses héritiers serait vécue comme une nouvelle injustice infligée au peuple congolais, victime de trente-deux années de dictature soutenue par les puissances occidentales.


Malgré une mobilisation sans précédent de la société civile congolaise [1] pour réclamer la restitution des fonds Mobutu et des demandes plusieurs fois réitérées de la société civile internationale auprès du gouvernement congolais, l’argent devrait retourner à la famille de l’ex-dictateur, qui a déjà pu profiter en toute impunité de la fortune de ce dernier. La Banque Mondiale, qui a financé le régime de Mobutu pendant toute la guerre froide, estime sa fortune à plus de 6 milliards de dollars.

Alors que la Suisse avait été un des rares pays à geler les fonds de l’ex-dictateur [2], elle remet ainsi en cause sa volonté, ainsi que celle de la communauté internationale, de lutter contre la corruption, consacrant l’impunité pour les crimes économiques et financiers (commis par les chefs d’Etats et de gouvernements). C’est en effet, plus de 20 à 40 milliards de dollars qui fuient chaque année des pays du Sud à cause de la corruption ; ce qui représente 20 à 40% des chiffres affichés d’aide publique au développement. Alors que la Convention des Nations unies contre la corruption de 2003 fait de la restitution des avoirs détournés un principe du droit international, ces avoirs restitués ne représentent qu’encore 3% des montants détournés au niveau mondial… [3]


La Suisse et la République démocratique du Congo pourraient, en utilisant tous les instruments légaux et politiques pour restituer les avoirs de Mobutu au peuple congolais spolié, montrer qu’elles font de la lutte contre l’impunité une priorité.


C’est pourquoi nous exhortons :


- les autorités congolaises à désigner immédiatement un plénipotentiaire pour mener à bien la restitution au profit de la population de RDC.


- les autorités suisses à maintenir le blocage de ces avoirs car une restitution au profit du clan Mobutu le 15 décembre prochain serait en contradiction avec son intention de réviser la loi suisse d’entraide judiciaire pour faciliter les restitutions aux Etats spoliés.


- tous les Etats à ratifier la Convention des Nations unies contre la corruption, que la Suisse et bon nombre des pays du Nord n’ont d’ailleurs pas ratifiée [4]. En se dotant de cet instrument juridique, la Suisse et les autres pays comme la France et la Belgique auraient ainsi l’obligation de restituer la totalité des avoirs détournés par Mobutu (art 51) après avoir levé le secret bancaire (article 40).


- enfin, à l’ensemble de la communauté internationale d’annuler totalement et sans condition la dette odieuse des dictatures comme celle de Mobutu et de lutter contre les paradis fiscaux et judiciaires qui permettent en toute opacité la fuite illicite de capitaux, près de 1 000 milliards de dollars selon la Banque mondiale, dont la moitié vient des pays du Sud.


Dépêche AFP

Suisse : les fonds gelés de Mobutu doivent revenir au peuple congolais (ONG)

02 déc. 08 - 18h15


PARIS, 2 déc 2008 - Une dizaine d’ONG, notamment de République démocratique du Congo, "exhorte" Berne et Kinshasa à utiliser "tous les moyens possibles" pour verser les avoirs de l’ex-dictateur Mobutu à la population congolaise, dans un communiqué diffusé mardi.


Les fonds gelés en Suisse de l’ex-président du Zaïre (ancien nom de la République démocratique du Congo, RDC) pourraient être débloqués d’ici le 15 décembre et les héritiers de Mobutu pourront faire valoir leurs droits.

"Nous, organisations de la société civile congolaise et internationale, exhortons la Suisse et la RDC à utiliser tous les moyens possibles pour restituer les avoirs de Mobutu à la population congolaise", écrivent ces ONG.

Parmi ces organisations figurent Plateforme Dette et développement de RDC (composé de 53 organisations de la société civile), ou encore le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM).


"Reverser cet argent illicite à ses héritiers serait vécue comme une nouvelle injustice infligée au peuple congolais, victime de 32 années de dictature soutenue par les puissances occidentales", poursuit le texte. Depuis la chute de Mobutu en 1997, quelque 8 millions de francs suisses (5,2 millions d’euros) sont bloqués dans la Confédération mais le gel des avoirs de l’ancien président pourrait prendre fin d’ici le 15 décembre, faute d’un prolongement de la procédure.


Avec l’expiration de la procédure, les héritiers de Mobutu pourront automatiquement accéder à ces fonds.

Les ONG appellent Kinshasa à "désigner immédiatement un plénipotentiaire pour mener à bien la restitution au profit de la population de RDC", et Berne à maintenir, pour l’heure, le blocage des avoirs.


La Suisse, selon les ONG, doit ensuite ratifier la Convention des Nations unies contre la corruption, ce qui l’obligera à "restituer la totalité des avoirs détournés par Mobutu".


Joseph-Désiré Mobutu s’était emparé du pouvoir par un coup d’Etat en 1965.


Il a plongé son pays dans une longue crise économique marquée par la corruption de l’Etat, les détournements de fonds et le lancement de travaux pharaoniques ruineux (course spatiale, palais de marbre en pleine forêt tropicale…)


Son fils Nzanga Mobutu est ministre dans le gouvernement de Joseph Kabila.


Voir la liste des États parties à la Convention des Nations unies sur la corruption

infos article URL : http://www.cadtm.org


Signataires : - Plateforme Dette et Développement de RDC (composé de 53 organisations de la société civile congolaise) - DEDQ (Détectives Experts pour les Droits au Quotidien – RDC) - CADTM Lubumbashi (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde) - Action Place financière - CCFD-Terre Solidaire (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement) - Déclaration de Berne - CADTM Belgique - Survie France - CADTM France - CADTM Suisse - CNCD Belgique (Centre National de Coopération au développement) - le FNDP Côte d’Ivoire (Forum National Dette et Pauvreté - membre du CADTM International) - RPC Mauritanie (Réseau pour la Promotion de la Citoyenneté – membre du CADTM International) - PAPDA Haïti (Plate-forme haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif – membre du CADTM International)


Document PDF - 22 ko


[1] En 2007 et 2008, la société civile congolaise a fait des déclarations par voie de presse, des pétitions, des séminaires sur les biens mal acquis, deux requêtes au Procureur général de la RDC ; deux lettre ouvertes envoyées à Gizenga et à Kabila , un sit-in devant la primature de la magistrature le 14 novembre dernier…

[2] Rapport de la Banque Mondiale, Stolen Asset Recovery (StAR) Initiative : Challenges, Opportunities, and Action Plan, septembre 2007.

[3] CCFD-Terre Solidaire, Biens mal acquis… profitent trop souvent. La Fortune des dictateurs et les complaisances occidentales, Document de travail, avril 2007

[4] Parmi les membres du G8, l’Allemagne, l’Italie, le Japon n’ont pas ratifié cette convention Voir la liste des Etats parties à la Convention des Nations unies sur la corruption


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Biens mal acquis : Nouvelle plainte

2 Décembre 2008 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Actualités françafricaines, communiqués, archives.

2 décembre 2008
Cellule Françafrique
-
Biens mal acquis : Nouvelle plainte contre Omar Bongo, Teodoro Obiang et Denis Sassou Nguesso Des associations et contribuables déposent plainte avec constitution de partie civile



Un an et demi après le dépôt de la première plainte contre 5 chefs d’Etats africains, Transparency International et un contribuable gabonais déposent une nouvelle plainte pour "recel de détournements de fonds publics" auprès du doyen des juges d’instruction de Paris



Depuis maintenant un an et demi, des associations de la société civile soutenues par le Cellule Françafrique tentent par tous les moyens de demander la restitution des biens mal acquis des dictateurs africains aux Etats spoliés.


Sur la base d’un rapport du Comité catholique contre la Faim et pour le Développement intitulé "Biens mal acquis...profitent trop souvent. La fortune des dictateurs et les complaisances des pays occidentaux", plusieurs associations françaises ont déposé plainte devant le Parquet de Paris en mars 2007. Plainte qui a été jugé recevable puisqu’une enquête préliminaire a été ouverte mettant en lumière l’imposant patrimoine de quelques chefs d’Etats africains : 33 biens immobiliers appartenant au gabonais Omar Bongo ou à sa famille sont répertoriés en France, 18 propriétés pour le clan Sassou, une quinzaine de voitures de luxe achetées en France par le fils du président équato-guinéen Teodore Nguema Obiang (5,7 millions d’euros), des Mercedes, Maybach et Ferrari pour les épouses Bongo et les neveux Sassou Nguesso... Pour certains de ces biens, le financement apparait pour le moins atypique : des chèques provenant du compte de la paierie du Gabon à la Banque de France (censée rémunérer les fonctionnaires de l’ambassade), des sociétés écrans, des "cadeaux" de l’avocat d’Omar Bongo François Meyer... (voir les copies des chèques à la fin de l’article) Cette enquête préliminaire a été classé sans suite en novembre 2007 suite à une décision politique prise au plus haut sommet de l’Etat.


La Cellule Françafrique a soutenu depuis le début cette mobilisation contre les biens mal acquis, organisant un Tour de Françafric en juillet 2007 autour des demeures des président gabonais et congolais et en avril dernier la saisie symbolique d’un hôtel particulier de plus de 2000m² appartenant à la famille Bongo depuis juin 2007 pour plus de 18 millions d’euros.


Ce dépôt de plainte avec constitution de partie civile arrive au moment où la Suisse s’apprête à rendre à la famille Mobutu, dictateur pendant 32 ans du Zaïre (ex-République démocratique du Congo), plus de 5 millions d’euros gelés depuis 1997 sur des comptes bancaires en Suisse faute de volonté politique en Suisse et au Congo pour restituer les fonds au peuple congolais ... Un comble quand on sait que ce week end un des neveux de Mobutu a mis aux enchères plusieurs centaines de pièces d’art africain ayant appartenu au dictateur ... C’est dire si la fortune de Mobutu était conséquente !


Espérons que la justice française aura le courage de déclarer la plainte "recevable" comme elle a fait dans le passé et de nommer ainsi un juge d’instruction en charge d’une enquête qui mettra en lumière le patrimoine des chefs d’Etats africains en France et la complaisance des hommes politiques et entreprises françaises, pour une restitution future aux peuples spoliés.


Cellule françafrique

Pour une visité guidée de quelques biens mal acquis, cliquez ici

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Pius Njawé victime d’une manoeuvre d’intimidation, en France

28 Novembre 2008 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Actualités françafricaines, communiqués, archives.


mercredi, 26 novembre 2008

Pius Njawé victime d’une manoeuvre d’intimidation,
en France

Invité en France par Survie dans le cadre de la Semaine de la solidarité internationale, le journaliste camerounais Pius Njawé était le 25 novembre 2008 à Annemasse, à deux pas de Genève. Au cours de cette intervention, le public présent dans la salle du Centre Martin Luther King a été le témoin d’une manœuvre d’intimidation. Il n’en revient toujours pas.


Compte rendu de Juliette Abandokwe, journaliste.


La conférence d’Annemasse commence à 20h comme prévu. La petite salle du Centre Martin Luther King est pratiquement comble. Parmi un public majoritairement français arrivé petit à petit, sont entré quatre gaillards habillés en manteaux sombres, chaussures dernier cri et bien cirées, les mains dans les poches, et avec un air un brin prétentieux et belliqueux à vrai dire. Pius Njawé arrive accompagné du coordinateur Rhône-Alpes de Survie, s’installe et commence à parler d’abord du rôle socio-économique des entreprises françaises au Cameroun. Il poursuit avec son expérience en tant que témoin oculaire de ce que le régime dictatorial de Biya inflige au peuple camerounais quand il cherche à se rebeller, et à la censure systématique de la presse indépendante.


Arrive le temps des questions et du débat. Les messieurs en manteaux sombres s’étaient installés au dernier rang. Le premier se lève, et s’appuyant nonchalamment contre le mur d’un air suffisant, se présente comme un membre de la diaspora. Il invective Pius Njawé d’un ton mesuré sur son exposé « si on peut appeler ça un exposé », lui demandant de quel droit il parle pour les camerounais, et de quel droit il prétend trouver des solutions pour le Cameroun. M. Njawé répond posément. Se lève ensuite le second, qui continue sur la même lancée, faisant des remarques sarcastiques sur le « projet de société » du Messager, et sur le rôle douteux du Messager dans la vie quotidienne camerounaise. M. Njawé répond encore. Le reste du public assiste effaré à ces attaques verbales, ne comprenant pas d’où diable ces hommes si agressifs sortent ! Et pour cause.

Car nous sommes en plein délire ! La politique intimidatrice du RDPC, parti au pouvoir, et la dictature africaine à l’état pur, là à Annemasse dans une petite salle devant une assemblée d’une cinquantaine de personnes souvent inconscientes de ce qui se passe en Afrique aujourd’hui, et surtout ignorantes de la violence des dictatures qui y sévissent.


Le responsable de Survie se lève et essaie de calmer le jeu en cherchant à recadrer le débat sur le thème de la soirée : le rôle de la Françafrique. Dans ce sens, il rappelle que par exemple le massacre de 400 000 bamiléké au cours de la guerre d’indépendance ne figure dans aucune mémoire française. Le troisième larron du fond de la salle, manifestement le doyen et mentor du groupe, tente d’étouffer la discussion par effraction, se mettant carrément à tutoyer M. Njawé, en l’accusant de victimisation ethnique.


Ç’en est trop, le public se manifeste en faveur de Njawé, et se rebelle contre ces effractions verbales agressives et ridicules pour certaines. L’ennemi de l’Afrique est bel et bien l’africain, dis-je. Les querelles interpersonnelles de bas étage, voilà ce qui tue le progrès en Afrique. Avec véhémence, je refuse la dérive ethnique de la conversation, et demande que l’on respecte la mémoire des 400 000 bamilékés bombardés au napalm par les français pendant la guerre d’indépendance, au même titre que l’ensemble des victimes camerounaises toutes ethnies confondues. Et je questionne enfin le rôle de la diaspora qu’ils prétendent représenter, mis à part les attaques de casse sur les initiatives existantes.


Pas de réponse. Les quatre sbires, sentant que le temps est venu de partir, sortent en ne lésinant sur aucun effort d’intimidation sur le chemin de la porte de sortie.

Un ouf de soulagement envahit la salle. La pression diminue, et les uns et les autres réalisent qu’ils ont été témoin de ce que Pius Njawé explique dans son exposé. La volonté délibérée du régime dictatorial camerounais d’éliminer toute forme de levée de conscience. Nos quatre corbeaux se révèlent être des employés du Consulat du Cameroun à Genève, et sont donc payés par leur gouvernement pour casser la résistance camerounaise, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur.


En tout cas les spectateurs d’un soir ont mieux compris ce qui se passe au Cameroun en terme de pression. Ils ont compris sous quelle botte est écrasée la volonté d’un peuple de se lever. Ils ont compris l’enjeu de la résistance qu’offre Pius Njawé depuis des années à un gouvernement qui ne veut en aucun cas que des troublions ne viennent déranger la quiétude du Palais d’Etoudi.


Qu’à cela ne tienne. La lutte continue. Pius Njawé sera à Grenoble le 26 novembre, et ensuite à Lyon. Nul doute aura-t-il encore affaire à des hommes en noir. Il a l’habitude d’être contrarié et insulté pour le courage civil qui est le sien, comme tous ceux qui luttent au péril de leur liberté et de leur vie, pour un Cameroun meilleur, et pour une Afrique où les peuples sont enfin écoutés et respectés.

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Rwanda Les arrangements politiques ne doivent pas nuire à la recherche de la vérité

25 Novembre 2008 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Actualités françafricaines, communiqués, archives.

25 novembre 2008. Communiqué de Survie


Rwanda : Les arrangements politiques ne doivent pas nuire à la recherche de la vérité.


Alors que le Rwanda ressurgit dans l’actualité autour de l’arrestation de Rose Kabuye, Survie rappelle que, par delà les manoeuvres politiques et judiciaires, ce qui est en cause dans la région des Grands lacs, c’est la vérité et la justice en l’absence desquelles seule la violence règne. A ce titre, l’enquête du juge Bruguière apparaît comme une démarche partisane dont l’objectif est d’éclipser la complicité de la France dans le génocide des Tutsi.


L’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Habyarimana (qui a constitué l’élément déclencheur du génocide mais en rien sa cause puisque ce génocide était en préparation de longue date), piloté par un équipage français, n’a jamais été élucidé. Seules les anciennes Forces Armées Rwandaises (FAR) et des membres de l’armée française, ont pu accéder au site immédiatement après le crash.


Plus de trois ans après les faits, le 13 novembre 1997, la veuve du mécanicien navigant porte plainte, plainte à laquelle se joindra plus tard la veuve, résidant en France, du président Habyarimana. Le parquet ouvre une information judiciaire en mars 1998, alors qu’au même moment une mission d’information parlementaire est menée de mars à décembre 1998 sur la politique et l’engagement militaire français au Rwanda de 1990 à 1994. L’instruction est confiée au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière.


Cette instruction, exposant seulement une conviction partisane, faite uniquement à charge et sur une seule hypothèse, n’apportant pas de preuve mais reposant sur des témoignages sujets à caution [1], aboutit en novembre 2006 à une ordonnance du juge, suivie de la délivrance par le parquet de 9 mandats d’arrêt contre des membres de l’entourage du président rwandais Paul Kagame soupçonnés d’avoir participé au dit attentat. Le Rwanda rompt alors ses relations diplomatiques avec la France. Les démarches pour renouer ces relations, faites notamment par le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, se heurtent à l’existence de ces mandats d’arrêt.


La récente arrestation de Rose Kabuyé, l’une des neuf personnes poursuivies, peut être vue comme un événement de nature à dénouer le blocage diplomatique et judiciaire. Devant les juges, Rose Kabuye et ses avocats n’auront sans doute pas de mal à faire éclater les faiblesses de l’instruction Bruguière, qui apparaîtra pour ce qu’elle est, une tentative de diversion pour éluder une réalité cruelle.


Il ne faut pas en effet que la question de l’attentat contre l’avion, qui mérite d’être résolue par un travail d’enquête irréprochable, obnubile les esprits et efface, comme le veulent certains, celle, infiniment plus grave, de la complicité française dans l’exécution du génocide des Tutsi au Rwanda, qui n’avait rien d’improvisé.


Cette implication française apparaît dans le soutien accordé de 1990 à 1994 au régime Habyarimana, qui se livrait déjà à des massacres à caractère génocidaire ; dans l’aide à la militarisation et l’encouragement à l’ethnicisation de ce régime par la création d’un front Hutu Power contre l’« ennemi » tutsi ; dans le soutien à la formation du Gouvernement intérimaire, composé d’extrémistes hutu, qui a déchaîné le génocide ; dans la livraison d’armes pendant le génocide et enfin dans l’exfiltration des auteurs du génocide à la faveur notamment de l’opération Turquoise.


Si la Mission d’information du parlement français sur le Rwanda a tenté d’apporter un éclairage sur cette période, elle a esquivé, dans les conclusions de son président Paul Quilès, les conséquences sévères des faits qui lui ont été exposés et qui exigeaient des enquêtes approfondies pour révéler les tenants et aboutissants d’une politique qui a conduit au pire.


Cette politique funeste et le refus d’en éclairer et d’en assumer la responsabilité ont conduit à la perpétuation des guerres qui, depuis le génocide, ravagent la République démocratique du Congo voisine, dans l’impunité la plus totale de toutes les parties en présence. Des forces qui s’appuient sur des haines ethniques entretenues et instrumentalisées pour le plus grand profit des entreprises transnationales bénéficiaires des minerais extraits. Il est essentiel que tous les responsables, les complices et les commanditaires du génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité perpétrés dans la région des Grands Lacs soient poursuivis sans aucune exception devant la justice internationale. Les populations martyres ont droit à la vérité et à la justice.


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Document PDF - 75.1 ko

[1] Lire notamment à ce sujet l’article de Rue89 : http://www.rue89.com/2008/11/19/rwa…

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Communiqué: La justice française et le génocide au Rwanda

11 Novembre 2008 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Actualités françafricaines, communiqués, archives.

Communiqué de Survie, le 13 novembre 2008

La justice française et le génocide au Rwanda



La question de la complicité française dans le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, qui a toujours été éludée, revient dans l’actualité, notamment sur le terrain judiciaire, où elle est illustrée par plusieurs affaires.

Pour avoir aspergé, le 28 novembre 2007, Hubert Védrine d’un liquide rouge, rappelant symboliquement la responsabilité qui était la sienne, comme Secrétaire général de l’Elysée, en 1994, des militants du groupe Genocide made in France ont été poursuivis devant la 24e chambre du tribunal correctionnel de Paris. L’audience du 5 novembre n’a pas permis de désigner l’auteur de ce geste mais une peine de quatre à six mois de prison avec sursis, assortie d’une forte amende a été cependant requise contre une militante. Le tribunal s’est refusé à examiner les motifs de la manifestation et les griefs allégués à l’encontre de Hubert Védrine, qui les a repoussés dédaigneusement.

Le 7 novembre, la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris a relaxé Pierre Péan, poursuivi pour incitation à la haine raciale par SOS racisme et par Ibuka, association de rescapés du génocide, qui mettaient en cause plusieurs passages scandaleux de son livre Noires fureurs, Blancs menteurs. Lors du procès, qui s’est déroulé du 23 au 25 septembre, Hubert Védrine et Bernard Debré, ancien ministre de la Coopération ont déposé en faveur de P. Péan et de ses thèses, qui visent à nier l’implication française et à renvoyer dos à dos les génocidaires et leurs victimes. Pour le parquet le délit était bien constitué et une condamnation avait été requise.

Le 9 novembre, Rose Kabuye, ex-officier du Front Patriotique Rwandais, actuellement chargée du protocole à la présidence du Rwanda, l’une des neuf Rwandais visés par le juge Bruguière dans son instruction sur l’attentat du 6 avril 1994 ayant détruit l’avion du président Habyarimana lors de son atterrissage à Kigali, et contre qui des mandats d’arrêts avaient été lancés, a été arrêtée en Allemagne à Francfort. Elle s’est dite prête à rencontrer les juges chargés de cette instruction, qui ont succédé au juge Bruguière.

Ajoutons à cela que le 4 novembre dix officiers supérieurs français ayant participé à l’opération militaire Turquoise au Rwanda en 1994 ont porté plainte à Paris pour « diffamation publique ». Leurs noms figuraient dans la liste des 33 Français, 13 civils et 20 militaires, cités dans le rapport de la commission Mucyo sur l’implication de la France dans le génocide, rendu public au Rwanda le 5 août dernier. Les autorités rwandaises ont dit leur intention de lancer des mandats d’arrêt contre certaines de ces personnes et se préparent par ailleurs à publier les résultats de l’enquête rwandaise sur l’attentat.

Survie déplore l’indulgence du jugement rendu au sujet du livre de Pierre Péan qui, à sa parution, a choqué par sa violence haineuse la majorité des lecteurs. Cette indulgence contraste avec la sévérité des poursuites engagées contre ceux qui manifestent à leur manière pour que les Français prennent conscience de ce que l’Etat français a accompli en leur nom au Rwanda.

Survie rappelle que, conjointement à la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et à la Ligue française des Droits de l’Homme (LDH), elle est partie civile aux côtés de plaignants rwandais dont les plaintes visant des militaires français de l’opération Turquoise pour « complicité de génocide » sont actuellement en cours d’instruction au Tribunal aux Armées de Paris.

Survie souhaite ardemment que les débats judiciaires, mais aussi parlementaires et citoyens, apportent des réponses et dissipent les faux semblants qui tendent à occulter les circonstances de l’histoire du génocide rwandais. Il s’agit de se soumettre aux faits qui sont établis, de faire face à la part de réalité qui nous concerne et d’en tirer courageusement les conséquences une fois pour toutes.


Contact presse : Olivier THIMONIER olivier.thimonier@survie.org
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Communiqué de la plateforme paradis fiscaux et judiciaires

22 Octobre 2008 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Actualités françafricaines, communiqués, archives.

22 octobre 2008

Paradis fiscaux et judiciaires : la bataille ne fait que commencer

Suite à la réunion des pays de l’OCDE sur les paradis fiscaux le 21 octobre, les ONG saluent l’engagement politique fort de mettre fin aux abus des paradis fiscaux et appellent à passer aux actes

Les ONG membres de la plate-forme « Paradis Fiscaux et Judiciaire » (PFJ) saluent les engagements pris par les dirigeants français et leurs homologues de 16 autres pays de l’OCDE « de ne plus accepter que des Etats et territoires prospèrent sur la fraude ». Elles tiennent cependant à souligner que la réalité de cet engagement ne pourra être jugée qu’à l’aune des mesures effectivement adoptées. Elles veilleront également à ce que l’engagement soit aussi déterminé contre la fraude fiscale dont pâtissent les pays en développement.

 

Nicolas Sarkozy devant le Parlement européen, et Eric Woerth à l’issue de la réunion de 17 pays de l’OCDE sur les paradis fiscaux, ont pris hier des engagements politiques forts pour mettre fin aux abus des PFJ. Ils partagent le constat selon lequel les paradis fiscaux, « source intolérable d’injustice », ont participé à l’aggravation de la crise financière et qu’ils prospèrent sur le même terrain que le blanchiment et la corruption, celui du secret et de l’absence de transparence. 

 

Ø       Première mesure saluée par la plateforme, la volonté du Président français – reprise par le Ministre du Budget dans son discours – d’interdire aux banques qui bénéficient du secours de l’Etat de travailler avec les paradis fiscaux. Cette déclaration pourrait avoir une portée considérable, car la plupart des banques ont des activités, et même des filiales, dans les centres offshore. Toutefois, la plate-forme paradis fiscaux et judiciaires s’interroge sur la réalité de cet engagement, puisque les six banques françaises qui bénéficieront du soutien étatique ont toutes des filiales dans des paradis fiscaux. Le gouvernement devrait exiger, à minima, que les banques bénéficiaires s’expliquent dans leur rapport annuel des liens qu’elles entretiennent avec les PFJ.

 

Ø       La plate-forme « Paradis fiscaux et judiciaires » se félicite aussi de la proposition d’Eric Woerth d’identifier et de nommer les Etats et territoires qui ne respectent pas les standards de transparence et d’échange d’informations fiscales en révisant la liste noire des paradis fiscaux, en l’élargissant à tous les pays qui offrent un secret excessif – y compris au sein de l’OCDE – et en mettant au ban les territoires non coopératifs. La plate-forme « Paradis fiscaux et judiciaires » sera attentive aux mesures de sanction prévues à l’encontre de ces territoires et veillera, par ailleurs,  à ce que cette liste noire inclue effectivement l’ensemble des territoires non coopératifs, y compris ceux qui n’ont pas le secret bancaire mais utilisent le trust comme instrument d’opacité (c’est le cas du Royaume-Uni aujourd’hui).

 

Ø       La plate-forme PFJ salue également l’annonce visant une amélioration de la directive épargne de l’Union européenne – l’extension de sa portée géographique, son élargissement aux trusts, fondations et personnes morales et le réexamen du mécanisme transitoire de retenue à la source appliqué par quelques Etats –, ce qui correspond là encore à l’une de ses recommandations.

 

Ø         Enfin, la reconnaissance par les pays développés du fléau que représentent la fraude et l’évasion fiscales pour les pays en développement constitue un grand pas en avant qui devra être suivi d’effet lors de la conférence de Doha sur le financement du développement programmée fin novembre 2008. La plate-forme PFJ sera particulièrement vigilante aux mesures qui y seront prises. L’OCDE travaillant essentiellement pour ses membres, la plate-forme PFJ demande la création à l’ONU d’un organe intergouvernemental chargé des questions fiscales, avec une attention particulière aux pays du Sud. Elle demande aussi l’adoption du Code de conduite en préparation aux Nations Unies contre la fraude fiscale et la fuite illicite des capitaux.

 

Reste maintenant à savoir quelle sera la portée réelle de ces engagements qui restent en grande partie suspendus à l’adhésion des pays absents de la réunion, les Etats-Unis notamment. La plateforme « Paradis fiscaux et Judiciaires » attend donc de Nicolas Sarkozy qu’il mette ces sujets à l'ordre du jour des sommets mondiaux annoncés pour réformer le système financier mondial.

 

La plate-forme regrette également que la responsabilité de certains acteurs économiques n’ait pas été abordée :

-         Les déclarations ne font aucune référence à la responsabilité des entreprises qui utilisent les paradis fiscaux alors même que les pays du Sud perdent près de 200 milliards de dollars de recettes fiscales par an, des sommes détournées vers les paradis fiscaux ;

-         Aucune référence n’est faite à la possibilité d’obliger les firmes multinationales à rendre compte dans leurs rapports annuels de leurs activités, résultats et risques dans les PFJ où elles opèrent ;

-         Aucun engagement n’a été pris en faveur de la révision des normes comptables internationales pour plus de transparence de l’activité des entreprises multinationales à l’étranger.

 

TELECHARGER LES RECOMMANDATIONS DE LA PLATEFORME ET LE DOSSIER DE PRESSE


Membres de la plate forme :

Attac France - CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde) - CCFD Terre Solidaire - CRID (Centre de Recherche et d’Information sur le Développement) - Droit pour la justice - Oxfam France Agir ici - Réseau Foi et Justice Afrique Europe - Secours catholique Caritas France - Sherpa - Survie - Transparence International France


La plate-forme « Paradis Fiscaux et Judiciaires », créée en février 2006, regroupe 13 ONG et associations qui travaillent ensemble pour faire progresser la réglementation relative aux paradis fiscaux et contribuer ainsi à la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et la corruption.


Site internet : http://www.argentsale.org


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Dossier "Diplomatie, Business et Dictatures"

5 Octobre 2008 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Actualités françafricaines, communiqués, archives.

Dossier. "Diplomatie, Business et Dictatures, l'Afrique pris au piège Françafricain"


Pourquoi un dossier « Diplomatie, Business et Dictatures » ?


La politique de la France en Afrique, depuis les années 1960, a notamment pour objectif le maintien de l’influence française sur ses anciennes colonies et d’assurer aux entreprises hexagonales un accès privilégié aux ressources naturelles du continent, telles le pétrole, l’uranium, les minerais, le bois, etc. De nombreuses entreprises françaises ont ainsi construit leur fortune en Afrique.


Cette politique a été menée par tous les présidents de la Vème République du Général de Gaulle à Jacques Chirac en passant par François Mitterrand ou Valéry Giscard d’Estaing. Sous couvert de l’aide publique au développement (APD) et d’un discours de la France « meilleure amie de l’Afrique », la France a maintenu les régimes en place sous perfusion permettant le pillage de leurs ressources naturelles.


- Nicolas Sarkozy : VRP des entreprises françaises en Afrique


Avec l’arrivée à la présidence française de Nicolas Sarkozy (qui avait promis une rupture avec la Françafrique et les pratiques de ses prédécesseurs), nous assistons non seulement à une perpétuation de cette politique mais également à son regain, caractérisé par une défense affichée et revendiquée des intérêts français en Afrique : ventes d’armes, prolifération du irresponsable du nucléaire, conquête de nouveaux marchés par Total, Bolloré, Areva, Bouygues (et bien d’autres) en Angola, au Soudan, au Congo, etc.


Le secrétaire d’État à la Coopération, Alain Joyandet, a d’ailleurs pris les attributs de son homologue du Commerce extérieur en se faisant le porte-voix des seuls intérêts français : « L’implantation des entreprises françaises en Afrique est l’une de mes priorités » (lejdd.fr, 20 mai 2008) ; ou encore : « On veut aider les Africains, mais il faut que cela nous rapporte  » (Libération, 24 juin 2008).


S’il paraît légitime que des entreprises privées défendent leurs intérêts dans le monde, le fait que la diplomatie française, mais aussi la Coopération, se donnent quasi essentiellement comme mission de défendre et promouvoir des intérêts particuliers, pose un véritable problème éthique et révèle un renoncement des autorités françaises à la promotion des droits de l’Homme, de la démocratie et à la lutte contre la corruption. Nous assistons ici à un véritable retour en arrière et à une négation des réflexions des économistes du développement.

C’est cette « Coopération business » que Survie entend dénoncer dans le présent dossier en proposant des éclairages sur le rôle de quelques entreprises phares de la Françafrique, fortement implantées sur le continent et qui portent une responsabilité importante dans la situation politique et économique de l’Afrique d’aujourd’hui.


Pour Survie, les responsables politiques français (au niveau de l’exécutif mais aussi du Parlement) doivent au contraire impérativement s’engager à cesser de soutenir les dictateurs et les régimes autoritaires, à promouvoir la démocratie, la bonne gouvernance, et le respect des droits de l’Homme. Ils doivent s’engager plus en avant dans la lutte contre la corruption (par les entreprises ou hommes politiques français), rendre contraignant le principe de responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises françaises en Afrique (y compris de leurs filiales) et enfin cesser de sacrifier le développement des populations africaines sur l’autel des intérêts économiques d’une minorité.


Au lieu de se lancer, dans le cadre d’une compétition mondiale (avec les États-unis, la Chine, le Canada, etc.), dans une conquête effrénée des marchés africains, la France doit au contraire donner l’exemple et être moteur pour faire changer le droit international et promouvoir un ordre international plus juste, respectueux du droit des peuples à se développer.


- Pillage et dictatures au Sud. Profits du Nord


En effet, le plus souvent, l’implantation de grandes entreprises françaises (et étrangères) en Afrique a un impact négatif sur le développement économique et social : pollution (lorsqu’il s’agit d’entreprises comme Areva ou Total), corruption, pillage des ressources naturelles. Or, compte tenu de la faiblesse des États africains et surtout de l’incurie de la plupart des leurs régimes, il n’existe pas de système de contrôle des activités de ces entreprises, tant au niveau environnemental que social (conditions de travail, niveau de rémunération, etc.).


D’autre part, l’implantation d’entreprises françaises empêche l’émergence d’un entreprenariat local solide, par substitution aux entreprises locales. Les entreprises qui s’implantent sont tournées vers la satisfaction des besoins des pays du nord et non des pays africains. Elles contribuent ainsi à l’extraversion des économies africaines, alors qu’au contraire, les pays africains doivent d’une part subvenir à leurs besoins et d’autre part renforcer leurs marchés intérieurs déjà fragilisés par les inégalités Nord-Sud (inégalité des termes de l’échange, prix des matières premières fixés par le nord, déficit commercial, subvention des agricultures du nord, etc.). Aussi, les bénéfices des entreprises sont rapatriés au nord, dans les banques et parfois les paradis fiscaux. Le solde des flux financiers entre l’Europe et l’Afrique est en fait largement en faveur du nord et non l’inverse.


Il existe également de graves problèmes en terme de transparence, notamment dans l’exploitation des ressources naturelles. En effet, celle-ci donne généralement lieu, avec la connivence des entreprises françaises, à de vastes détournements d’argent par les dirigeants au pouvoir qui ne redistribuent par les richesses aux populations qui ne voient pas de retombées en terme de politiques publiques, de services sociaux, sanitaires, d’éducation ou d’aides aux producteurs, etc. C’est le paradoxe entre richesse naturelle et pauvreté endémique. D’ailleurs, l’implantation d’entreprises françaises dans des secteurs dits de « service public  » (eau, transport, électricité, etc.) contribue à fragiliser les États et à la destruction du bien public.


En outre, la corruption et les détournements qui accompagnent les activités des entreprises françaises permettent le financement de régimes répressifs et dictatoriaux et renforcent ainsi leur pouvoir, repoussant vers un avenir incertain les espoirs démocratiques des populations. Entreprises françaises et pouvoir politique s’allient ainsi afin de financer des régimes dictatoriaux à même d’assurer la stabilité dont les entreprises françaises ont besoin pour opérer.


- Une « Coopération business » inacceptable


Basée sur les principes de croissance et de commerce (qui ne profitent qu’à une minorité), la conception française de la coopération défendue par Nicolas Sarkozy et relayée par Alain Joyandet, va à l’encontre des principes même du développement socio-économique et humain. Or, ce paradigme a été depuis longtemps déjà remis en cause par les experts du développement. Ce qui n’empêche pas l’Agence française de développement (AFD) de financer certaines entreprises françaises : au lieu d’oeuvrer pour le développement, la Coopération en revient au principe de l’aide liée.


Au sommaire du dossier :

- Introduction : Pourquoi un dossier « Diplomatie, Business et Dictatures » ?
- Fiche 1 : Histoire de la politique économique de la France en Afrique
- Fiche 2 : Total[itaire] : que serait TOTAL sans le pétrole africain ?
- Fiche 3 : Quand les Rougier « massacrent à la tronçonneuse »
- Fiche 4 : BNP-Paribas : « Pour parler franchement… votre argent m’intéresse »
- Fiche 5 : Le Cameroun de toutes les incertitudes

De nouvelles fiches seront ajoutées prochainement (Angolagate, Dagris…)

Dossier complet à télécharger en pdf

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Communiqué de Survie: Angolagate

5 Octobre 2008 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Actualités françafricaines, communiqués, archives.

Communiqué de Survie, le 6 octobre 2008

Angolagate

Les pressions politiques exercées au nom des intérêts économiques français ne doivent pas entraver la justice




A l'heure où s'ouvre le procès dit de l'Angolagate, Survie dénonce les manœuvres politiques qui n’ont d’autre rôle que d’amener la justice à enterrer ce dossier. Pour Survie, la justice et le droit doivent primer sur les ambitions économiques de quelques entreprises françaises en Angola.




L’Angolagate, affaire des ventes d'armes présumées à l'Angola entre 1993 et 2000, est un des plus gros scandales de « trafic » d’armes de ces dernières années. Ses protagonistes, notamment les hommes d'affaires français Pierre Falcone et israélo-franco-russe Arcady Gaydamak, sont soupçonnés d'avoir organisé la livraison de chars, d’hélicoptères, de navires de guerre et de munitions au régime du président José Eduardo Dos Santos pour un montant de 790 millions de dollars, sans l'autorisation des autorités françaises, afin d’alimenter une guerre civile qui, de 1975 à 2002, a fait plus de 500.000 morts. Pierre Falcone et Arcady Gaydamak auraient perçu la moitié des 790 millions de dollars rapportés par ces ventes, avant d'en redistribuer une partie pour asseoir leur influence en France. Une quarantaine de personnes, dont Charles Pasqua, Bernard Guillet, Jean-Christophe Mitterrand, Jacques Attali, Jean-Charles Marchiani ou l’ex député UMP Georges Fenech, impliquées dans cette affaire, sont également soupçonnées d'avoir bénéficié de juteuses rétro-commissions. Du côté angolais, les noms de plusieurs personnalités - non poursuivies - sont apparus, dont l’actuel président José Eduardo Dos Santos.



Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, la France cherche coûte que coûte à lever l'hypothèque de l’Angolagate qui empoisonne les relations entre les deux pays. Attirée par le nouveau statut de l’Angola devenu 1er producteur de pétrole en Afrique (sans oublier le juteux marché de la reconstruction d'un pays dévasté par vingt-sept ans de guerre civile), la France aimerait tirer un trait sur cette affaire. En déplacement à Luanda le 23 mai dernier, Nicolas Sarkozy a donné le ton : « Nous avons décidé de tourner la page des malentendus du passé » en promettant, par ailleurs, au président angolais que ce procès ne déboucherait pas sur de nouvelles mises en cause de personnalités angolaises. Le 11 juillet, dans une lettre adressée à l’avocat de Pierre Falcone, le ministre de la Défense Hervé Morin affirmait que le trafic d’armes n’était pas constitué puisque celles-ci n’ont pas transité par le territoire français. Ce n’était pas l’avis de son homologue Alain Richard (du gouvernement Jospin) à l’origine de la plainte en 2001, plainte jugée tout à fait valable puisque la signature des contrats d’armements a bien eu lieu en France. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait d’ailleurs validé la quasi-totalité de l’enquête menée par les juges Courroye et Prévost-Desprez. Enfin le 23 juillet 2008, à quelques semaines de l’ouverture du procès, la Chancellerie annonçait également la réintégration dans la magistrature de l'ex-député UMP Georges Fenech, l’un des prévenus.


Le solde du contentieux de l’Angolagate aurait bien des avantages économiques. Il permettrait d'ouvrir de meilleures perspectives pour les firmes françaises en Angola. Total y a d'importants intérêts et son directeur général, Christophe de Margerie, était de la délégation présidentielle lors du voyage de Nicolas Sarkozy en mai dernier. Areva s'intéresse quant à elle aux gisements d'uranium, tandis que le groupe Thalès s'apprête à fournir un système de communications sécurisées au gouvernement angolais.


Dans ce contexte, l’association Survie s’inquiète fortement des manœuvres et pressions politiques dans un dossier aussi grave où il est question de trafic d'armes, de trafic d’influence, de corruption et de financement illicite d'une guerre civile avec son cortège d’atrocités et ses milliers de morts. Non seulement le politique ne doit pas entraver la justice et s'immiscer dans le prétoire, mais les réseaux de la Françafrique à l’œuvre dans l’Angolagate doivent être jugés. C’est tout le sens de la rupture qu’avait proposée Nicolas Sarkozy en 2007.
En outre, il nous paraît dangereux que la France, en faisant primer ses intérêts économiques et géopolitiques sur le droit et la justice, poursuive cette politique qui tend à défendre les oppresseurs, les criminels et les trafiquants. Une bien sombre image de notre pays en Afrique et dans le monde.



Pour plus d’informations sur cette affaire, télécharger la fiche Angolagate. Quand la politique entre dans le prétoire, la justice en sort, téléchargeable sur :
http://survie.org/spip.php?action=redirect&id_article=1253


Afin d’interpeller l’opinion sur la « diplomatie business » de la France en Afrique et ses graves conséquences en terme de soutien aux dictatures et de pillage des ressources naturelles, Survie publie un dossier intitulé Diplomatie, Business et Dictatures. L’Afrique prise au piège françafricain, téléchatrgeable sur :

http://survie.org/spip.php?action=redirect&id_article=1254



Contact presse : Oliver Thimonier olivier.thimonier@survie.org Tél. : 01 44 61 03 25
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Fiche de Survie sur l' Angolagate

5 Octobre 2008 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Actualités françafricaines, communiqués, archives.

Fiche Angolagate:

L'angolagate: "  Quand la politique entre dans le prétoire, la justice en sort".


Sommaire :

Qu’est-ce que l’Angolagate ?
Que reproche la justice aux prévenus ? Les fondements juridiques du procès
Quels sont les principaux acteurs de l’Angolagate ?
Pierre Falcone
Arcadi Gaydamak
Jean-Charles Marchiani
Jean-Christophe Mitterrand
Charles Pasqua
Paul-Loup Sulitzer
Jacques Attali
L’Angolagate avatar de la Françafrique

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Schéma simplifié d’un circuit françafricain : l’Angolagate

« Le plus gros scandale de trafic d’armes de la fin du XXe siècle » [1], d’après Natalie Funès journaliste au Nouvel observateur. « Une affaire de vente d’armes entre la Russie et l’Angola, négocié en France, qui empoisonne les relations entre les deux pays » [2], précise Renaud Lecadre de Libération. « En fait, la véritable histoire est celle de la privatisation de la guerre en Angola et de l’organisation du pillage des avoirs de l’Etat à une échelle comparable à celle atteinte au Zaïre par Mobutu et au Nigeria par Abacha » [3], souligne d’un trait rouge vif l’ONG Global witness dans un ouvrage publié en 2003. L’Angolagate est avant tout une affaire d’une exceptionnelle complexité. Il est indispensable de retracer la genèse de cette intrigue scabreuse internationale, histoire de comprendre.

Le Portugal accorde l’indépendance à l’Angola en 1975. Aussitôt le pays est déchiré par une guerre civile effroyable qui oppose d’un côté l’Union pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), du charismatique et impitoyable Jonas Savimbi et de l’autre le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) dirigé par Agostino Neto, le tout sur fond de guerre froide. L’Unita est soutenue par le bloc de l’Ouest, notamment par les USA et l’Afrique du Sud, et le MPLA par l’Union soviétique et ses alliés. C’est d’ailleurs avec l’appui des troupes cubaines qu’en 1976 le MPLA prend le contrôle du gouvernement. Agostino Neto est aux commandes. A sa mort en 1979, il est remplacé par Eduardo Dos Santos. La chute du mur de Berlin vide le conflit de son intérêt stratégique, les belligérants signent un accord de paix en 1991 au Portugal et décident d’affronter le suffrage universel l’année suivante.


Devant le raz-de-marée électoral du MPLA, Jonas Savimbi reprend les armes, Dos Santos est pris au dépourvu. « L’insurrection renouvelée de l’UNITA s’est avérée relativement réussie car la plupart des unités d’élite du groupe avaient gardé les armes et étaient restées opérationnelles. Par contre, les troupes du gouvernement avaient démobilisé leurs forces de façon disproportionnée et se trouvaient donc une position de faiblesse relative » [4]. Cinq des dix-huit capitales provinciales tombent entre les mains des rebelles, la victoire de l’UNITA est désormais plausible. Dos Santos qui a impérativement besoin d’armes et d’argent ne peut pas compter sur le bloc de l’Est qui n’existe plus. Il envoie désespérément des signaux de détresse à Paris. Mais si Mitterrand préside à l’Elysée, Edouard Balladur gouverne à Matignon, et Alain Juppé est incontournable au Quai d’Orsay. De surcroît, François Léotard, « bien connu à l’époque pour être l’un des plus grands partisans de l’UNITA à Paris » [5], est ministre de la Défense. Le refus du gouvernement français est catégorique : “On ne livre pas d’armes à un pays en guerre”.


« S’esquisse alors une diplomatie parallèle, avec, par ordre d’entrée en scène, le fils aîné du président, Jean Christophe Mitterrand, ancien membre de la cellule africaine de l’Elysée. » [6] En fait, d’après les travaux de Global witness, le gouvernement angolais prend d’abord langue avec l’ancien expert de l’Afrique australe auprès du parti socialiste, Jean-Bernard Curial, qui à son tour contacte le fils Mitterrand. Ce dernier lui aurait suggéré de se rapprocher d’un certain Pierre Falcone, « à la tête d’un groupe de sociétés, Brenco International, basé à Paris. Falcone est aussi le conseillé clé de la Sofremi (Société française d’exportation des matériels et systèmes du ministère de l’Intérieur), organisation mi-privée mi-étatique opérant sous les auspices du ministère français de l’Intérieur à la tête duquel se trouvait Charles Pasqua » [7]. Le mystérieux homme d’affaires est aussi très lié à Jean-Charles Marchiani, conseiller du ministre de l’Intérieur. Pour le clan Pasqua, Balladur n’a pas conscience du nouvel enjeu stratégique angolais : le pétrole [8]. Les immenses nappes d’huile noire nichées dans le sous-sol du pays attisent les convoitises. Les Américains ont cessé leur soutien à l’UNITA et font désormais les yeux doux à Dos Santos. La France doit absolument jouer sa partition.


Pierre Falcone qui sait où se procurer les armes est mis en contact avec le président angolais. C’est le début d’une idylle sans fin entre les deux hommes. « Un contrat de livraison d’armes est conclu en 1994 entre la société de Falcone, Brenco, et l’Angola, pour un montant de 4 milliards de dollars via une société slovaque [ZTS-Osos], dont Arcadi Gaydamak, ex-colonel du KGB devenu homme d’affaires, est l’un des mandataires. » [9] Les armes sont issues des stocks de l’ancien bloc de l’Est. L’argent provient des préfinancements, accordés par la banque Paribas à l’Etat angolais, garantis sur la future production de pétrole. Le gouvernement de Dos Santos reçoit à cette époque un arsenal considérable : « chars, hélicoptères, mines, lance roquettes et pièces d’artillerie, ainsi que six navires de guerres. Ces armes ont été envoyées, pendant sept ans, de plusieurs pays est-européens, comme la Russie, la Bulgarie et le Kirghizistan » [10]. Pour faciliter les transactions occultes en France, les lobbyistes s’activent, des enveloppes circulent à tour de bras. « Ni Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, ni Edouard Balladur, Premier ministre, ne sont au courant. En 2001, après les péripéties qui vont mettre au jour ce “trafic”, le ministère de la Défense porte plainte » [11], par le truchement du ministre Alain Richard. Le procès s’ouvrira le 06 octobre 2008, 42 personnes sont renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris. Au banc des prévenus des noms célèbres : Jean-Christophe Mitterrand, Jean-Charles Marchiani, Charles Pasqua, Jacques Attali, etc. «  Elle [l’affaire Angolagate] va être jugée pendant six mois, avec risque de déballage à la barre » [12]. Epilogue. Ces livraisons massives d’armes ont changé le rapport de force sur le terrain. Le 22 février 2002, Jonas Savimbi est abattu. Sa mort marque la fin d’une guerre civile qui a duré un quart de siècle et fait 500 000 morts.



Le 11 juillet 2008 le ministre de le Défense Hervé Morin adresse une lettre à Me Pierre-François Veil, avocat de Pierre Falcone, dans laquelle il écrit :


« Il résulte de l’examen du dossier de mon ministère, à la lumière de vos observations, qu’en l’absence de transit par le territoire français, la législation relative aux opérations de ventes d’armes et de munitions ne s’appliquait pas, aux dates retenues par le dossier de l’instruction, à l’activité exercée par M. Pierre Falcone. » [13]

Décryptage. « A l’époque des ventes d’armes vers l’Angola incriminées par l’enquête, la loi française exigeait une autorisation gouvernementale si les armes étaient fabriquées en France ou passaient par le territoire national. » [14] Sans ce cachet officiel, le commerce d’armes était assimilé à un trafic. Or les armes vendues par Falcone entre 1993 et 2000 ont été livrées à l’Angola, en provenance de l’ancien empire soviétique, sans transiter par la France. Par conséquent, « le ministère de la Défense, plaide [Hervé Morin], n’aurait jamais du déposer plainte dans cette affaire de commerce d’armes puisqu’il n’y a jamais eu de « trafic » à proprement parler à partir de la France » [15]. A la suite de cette missive, Hervé Gattegno rappelle que « le dossier Falcone pourrait se réduire à une affaire financière [abus de biens sociaux] ordinaire, dénuée de son caractère le plus explosif » [16].


Toutefois, dans un article publié le 22 juillet 2008, sur

le site de Bakchichinfo, Eric Laffitte ironise sur la bourde juridique du ministre de la Défense Hervé Morin.

« Avant d’envoyer cette lettre incongrue [à l’avocat de Falcone] le ministre aurait du demander conseil à sa collègue de la Justice ou du moins au Parquet …Et on lui aurait expliqué que dans ce dossier, l’accusation repose sur un délit précis, le courtage en commerce illicite d’armes. A ne pas confondre justement avec le trafic d’armes stricto sensu. Le concept juridique précis de courtage, régi par une ordonnance de 1939, oblige tout négociant en armes œuvrant depuis Paris à obtenir une autorisation en bonne et due forme du ministère de la Défense. Et peu importe, dans ce cadre juridique que les armes aient physiquement transité ou pas, par le territoire français. » [17]

Or, d’après les investigations de Global witness, plusieurs contrats de la livraison d’armes à l’Angola ont été signés sur le territoire français. « Lorsque les premiers contrats d’armes entre ZTS-Osos et l’Angola ont été signés en 1993 et 1994, Brenco France se trouvait au 56 avenue Montaigne à Paris. Il est intéressant de noter que cette adresse et les numéros de téléphone et fax de Brenco figurent sur le contrat initial de 47 millions de dollars, avec la signature de Pierre Falcone (…) Le caractère vraiment français du dossier original de 47 millions de dollars devrait être souligné (…) Non seulement le document était écrit en français, mais il aurait aussi été envoyé à Elisio de Figueiredo [ambassadeur itinérant de l’Angola] qui était posté à Paris. » [18] Dans cette optique, la plainte formulée par le ministère de la Défense en 2001 est fondée. D’ailleurs, le procureur Jean-Claude Marin, a maintenu les charges qui pèsent contre les prévenus.



Pierre Falcone

Homme d’affaire français et homme de main du président angolais Eduardo Dos Santos, il était directeur associé de la Brenco International, pièce maîtresse de l’Angolagate. Falcone a, en outre, été un conseiller très influent (1989 à 1997) auprès de la Société française d’exportation de matériel militaire du ministère de l’Intérieur (Sofremi), crée en 1986 sous l’égide de Charles Pasqua. La Sofremi avait pour but, entre autres, de « négocier des contrats de vente d’équipement de communication et de surveillance aux forces de police étrangères » [19]. Placé en détention provisoire entre 2000 et 2001, il prend la fuite en 2003 grâce au statut d’ambassadeur à l’Unesco que lui accordé l’Angola. Le 11 décembre 2007, il a été condamné à un an de prison ferme pour une histoire de détournements de fonds au préjudice de la Sofremi. Le 18 janvier 2008, c’est pour fraude fiscale qu’une peine de quatre ans de prison ferme et 37 500 euros d’amende est prononcée contre lui par le tribunal correctionnel de Paris [20]. Dans l’affaire Angolagate, des soupçons de corruption et de vente illicite d’armes pèsent sur Pierre Falcone. L’article publié par le quotidien Le Monde à ce propos est édifiant : «  Installés dans un hôtel particulier de l’avenue Kléber dans le 16e arrondissement de Paris, dotés d’hôtesses ravissantes, les bureaux de Brenco reçoivent des visiteurs réguliers. Lorsque Jean-Christophe Mitterrand, Jean-Charles Marchiani, l’écrivain Paul-Loup Sulitzer ou le directeur général de RMC, Jean-Noël Tassez, sont annoncés, le rituel est immuable. Isabelle Delubac descend au sous-sol, où sont entreposées des espèces, et remplit des enveloppes, sans oublier de noter sur ses fameux "mémos" les initiales parfois codées des bénéficiaires ainsi que la date et le montant alloué. » [21]


Arcadi Gaydamak

Nationalités russe, israélienne, française et canadienne. Ex-colonel du KGB converti dans les Affaires. Il est au moment des faits le mandataire de la société slovaque ZTS-Osos, qui a fourni, pour le compte de Brenco, la majeure partie des armes vendues à l’Angola. Gaydamak a donc été le partenaire de Falcone. Il a été décoré de l’Ordre du mérite français par J-C Marchiani. Milliardaire, l’ancien agent des services secrets russes a « officiellement changé de nom en Israël en 1998 pour prendre celui de Arye Barlev » [22]. Un mandat d’arrêt international lancé par la France pèse sur lui. Arcadi Gaydamak est en fuite depuis 2000.


Jean-Charles Marchiani

« Jean-Charles Marchiani, 64 ans, natif d’un petit village corse voisin de celui de Charles Pasqua, a été un authentique agent secret. Du moins jusqu’en 1970, où il sera évincé du SDECE (ancêtre de la DGSE, Direction générale de la sécurité extérieure) ». Dans ce portrait dressé par le quotidien Libération dans sa livraison du 26 avril 2008, Jean-Charles Marchiani est présenté comme l’« homme à tout faire de la galaxie Pasqua ». Ancien Préfet du Var, et ex-député européen R.P.F, il a été condamné en décembre 2005 par le tribunal à trois ans de prison, « pour avoir perçu des commissions en marge de la vente de chars militaires au Moyen-Orient (…) quelques semaines plus tard, il est condamné à un an de prison dans une autre affaire de commission occulte, perçue en marge d’un marché portant sur la sécurisation des bagages à Roissy » [23]. Dans l’affaire Angolagate, il aurait reçu de Falcone et compagnies des sommes importantes pour faciliter les ventes d’armes à Dos Santos. « Une note saisie dans les bureaux de l’intermédiaire fait état de virements à un surnommé « Robert » : « Nous avons avancé 450 000 dollars, ils en attendent encore un million. Nous croyons savoir que cet argent devrait être utilisé pour la campagne au parlement européen » de 1999, celle du RPF. Marchiani dément être le « Robert » en question, en contradiction avec plusieurs protagonistes. Un général angolais lui écrira ainsi cette lettre à la veille de la présidentielle de 1995 : « J’aimerais vous apporter encore une fois mon soutien dans ces élections et nous continuerons à faire de notre mieux pour que les bonnes personnes soient aux bonnes places. » [24]


Jean-Christophe Mitterrand

« Sans Jean-Christophe Mitterrand, il n’y aurait pas eu de contrat (de vente d’armes), de la même manière que sans femme, il n’aurait pas de bébé », avait expliqué un des prévenus aux enquêteurs [25]. Fils du président défunt, il est conseiller à la présidence de la République Chargé des affaires africaines (1982-1992) et conseiller d’une fondation suisse financée par Elf entre 1992 et 1996. Ex-commercial free-lance en Afrique Noire, il est soupçonné dans l’affaire Angolagate de complicité de commerce illicite d’armes et recel d’abus de biens sociaux. Il aurait reçu 2,6 millions de dollars de Falcone [26], pour « avoir donné des conseils géopolitiques », précise Mitterrand. « Je n’ai jamais parlé d’armes avec monsieur Falcone, jamais en sept ans. Il ne m’a jamais parlé de munitions. » [27]


Charles Pasqua

Ex-président du R.P.F., ex-président de la région Hauts-de-Seine, tête pensante du réseau qui porte son nom, ministre de l’Intérieur des gouvernements Chirac (1986-1988) et Balladur (1993-1995). Il est mis en examen pour "trafic d’influence, recel d’abus de biens sociaux". « Charles Pasqua est soupçonné d’avoir perçu 450.000 dollars en 1998 et 1999 de la société Brenco pour favoriser les intérêts du régime de M. Dos Santos au Parlement européen » [28].


Paul-Loup Sulitzer

Auteur de best-sellers, conseiller en tous genres (banque, finances, presse auprès de Pierre Falcone). Il sera devant la barre pour «  “recel d’abus de biens sociaux” en raison des 380. 000 euros qu’il a perçus de l’homme d’affaires Pierre Falcone, auteur principal de la vente d’armes présumée illégale pour un montant de 790 millions de dollars entre 1993 et 2000 » [29].


Jacques Attali

Conseiller “spécial” auprès du chef de l’Etat (1981-91). Ancien président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), président d’ACA, société de conseils, conseiller auprès de nombreux présidents africains. Me Guilloux, avocat de Falcone remet à Hubert Védrine, chez Jacques Attali, un dossier sollicitant un arrangement à propos du redressement fiscal signifié à ZTS-Osos, la société slovaque impliquée dans l’Angolagate. M. Védrine avait jusque-là évité tout contact avec Me Alain Guilloux. « "Je préfère l’Attali intellectuel à celui qui fait ce genre de démarche", dira aux enquêteurs M. Védrine. Quelques mois plus tard, M. Attali se voit confier une mission sur le microcrédit en Angola, qui sera payée 200 000 dollars par une société de M. Falcone » [30]. Il sera dans le prétoire le 06 octobre.


Après avoir été à l’origine de la plainte qui a déclenché l’Angolagate, l’Etat français a par la suite freiné des quatre fers. La France se déjuge. Aujourd’hui, le ministère de la Défense par qui le scandale est arrivé, cynique, se fait même l’avocat de ceux qu’elle a fait asseoir hier sur le banc des “accusés”. «  Hervé Morin, ministre de la défense de Pierre Falcone », titrait à juste titre Libération, dans sa livraison du 19 juillet 2008. En effet, dans la correspondance adressé le 11 juillet 2008 à Me Veil, avocat de Falcone, M. Morin affirme, que son département ministériel n’aurait jamais du engager des poursuites judiciaires contre les prévenus, « puisque, dit-il, il n’y a jamais eu de « trafic » à proprement parler à partir de la France » [31]. Un grand écart juridique visant à affaiblir l’accusation. En fait, le ministre de la Défense marche au pas et dans les pas de sa hiérarchie. Depuis son accession à la magistrature suprême, Nicolas Sarkozy s’échine en effet pour déminer le terrain de l’Angolagate. Primo, l’Elysée protège sans ménagement le président angolais, parrain du système Falcone, contre les investigations redoutables du juge Philippe Courroye. « Le président Dos Santos a d’ores et déjà obtenu de ne pas être directement impliqué. "Ce dossier est de nature totalement judiciaire. L’instruction est bouclée" et "aucun ressortissant angolais n’est poursuivi", précise-t-on ainsi à l’Elysée. » [32] Pour que le message soit plus audible à Luanda, Nicolas Sarkozy déclare dans les colonnes du Jornal de Angola : « Cette affaire concerne un citoyen français [Falcone] poursuivi (…) pour ne pas avoir respecté des dispositions légales françaises » [33]. Explication, il s’agit du Falconegate et non de l’Angolagate. Mais Dos Santos ne l’entend pas de cette oreille, pour le parrain il est hors de question de sacrifier ses filleuls, Falcone et Gaydamak, sur l’autel de la justice française. Déjà, le 26 février 2001, à l’occasion de l’accréditation du nouvel ambassadeur de France en Angola, Eduardo Dos San

tos déclarait :

« Je n’ai pas l’intention de m’immiscer dans des affaires intérieures françaises, mais j’ai le devoir de reconnaître que certaines des personnes actuellement visées dans des procédures judiciaires en France ont donné une contribution immense au développement de l’amitié et de la coopération entre l’Angola et la France. Monsieur Pierre Falcone, par exemple, à travers son entreprise, a soutenu l’Angola à un moment crucial de son histoire (…) Pour l’acquisition d’équipements militaires dont il avait besoin à l’époque, le gouvernement d’Angola a trouvé le concours de l’entreprise ZTS-Osos [représentée en France par Gaydamak, NDLR], qui n’est pas même une entreprise de droit français (…) Toute cette confusion délibérée s’était déjà produite avec monsieur Tarallo et je dois vous avouer, Monsieur l’Ambassadeur, qu’une telle situation nous laisse simplement perplexes. Ceux qui oeuvrent par des actions concrètes et d’ampleur au rapprochement entre nos deux pays finissent par avoir des problèmes (…) Monsieur l’Ambassadeur, l’amitié est comme une plante qui, si elle n’est pas régulièrement arrosée et fertilisée, s’assèche » [34]

Deux mois plus tard, le président Angolais s’immisce dans les affaires intérieures de la France. A travers correspondance adressée à Jacques Chirac il demande au pouvoir exécutif d’arrêter la machine judiciaire, le tout, toujours, sur fond de menace à peine voilée :

« Monsieur le Président (…) le gouvernement d’Angola a pris connaissance, à travers la presse, de l’existence d’une action judiciaire contre son mandataire officiel, M. Pierre Falcone, dont les répercussions causent de graves préjudices moraux à la République d’Angola et peuvent constituer un obstacle aux bonnes relations existant entre nos deux pays (…) La France n’est pas un fournisseur habituel de l’Angola en matériels d’armement ; de telle sorte qu’à aucun moment les équipements en cause n’ont transité, ni juridiquement ni matériellement, par le territoire de la République française ou à travers des entreprises ou des établissements français [argument repris par Hervé Morin, NDLR] (…) Pour cette raison, il nous paraît indispensable que l’Etat français, qui est impliqué dans ce processus, retire les plaintes qu’il a déposées aussi bien pour fraude fiscale que pour vente illicite d’armes. (…) Nous souhaitons également retenir l’attention de votre pays sur l’injustice qui nous paraît actuellement commise à l’encontre de notre mandataire, M.Falcone. M.Falcone est un grand ami de l’Angola. » [35]

L’homme fort de Luanda omet de dire qu’avant d’être un grand ami de l’Angola, Falcone, comme son acolyte Gaydamak, est d’abord son protégé, l’homme des basses besognes. « La société Brenco constituait une sorte d’interface entre la présidence angolaise (P. Falcone et son associé Arcadi Gaydamak ont reçu des passeports angolais et étaient « conseillers » du Président ; Brenco versait des sommes à diverses personnes et organismes français et angolais avec l’accord ou à la demande du Président angolais…) et des vendeurs d’armes de l’Europe de l’Est (notamment l’entreprise slovaque ZTS-Osos liée à Falcone). » [36] Falcone et Gaydamak ont arrosé le microcosme mondain parisien, sur ordre du parrain Dos Santos. Les deux chargés de mission avaient accès aux comptes du gouvernement angolais ouverts auprès de la banque Paribas à Paris et à Genève. Certains ont parlé de la « privatisation de la guerre ». Une partie de ce trésor garanti sur l’or noir angolais s’est retrouvée sur les comptes particuliers de Falcone, du milliardaire Gaydamak et… du président Dos Santos, entre autres. « L’enquête chiffre à 397 millions de dollars les profits encaissés personnellement sur les ventes d’armes par Pierre Falcone et Arcady Gaydamak. » [37] De même, dans le cadre d’une enquête parallèle à l’Angolagate menée par le juge genevois Daniel Devaud, un compte du parrain, alimenté par Falcone, a été découvert au Luxembourg. « Confirmation de la brigade financière française : les comptes basés au Luxembourg -soit 37,1 millions de dollars- sont bel et bien au nom de M. Dos Santos » [38], écrivait Simon Petite en avril 2005.


L’Elysée est donc au courant des détournements faramineux des avoirs du peuple angolais par Dos Santos et ses affidés. Après avoir mis le parrain à l’abri des poursuites judiciaires, l’Etat français met les bâtons dans les roues de la justice pour permettre à ses filleuls de s’en sortir. D’après « d’insistants échos venus du sommet de l’Etat, Nicolas Sarkozy veut nommer le juge Courroye [qui dirige l’enquête, NDLR] à la tête du parquet de Paris, ce dernier devra peut-être se déjuger au grand jour » [39]. Qu’est-ce qui explique toutes mesquineries élyséennes ?


Le pétrole. Le business est florissant dans le pays de Dos Santos. L’Angola est devenu le premier producteur d’or noir de tout le continent africain. Les intérêts de Total, fleuron de l’industrie française et bien implantée sur place, sont directement menacés. A titre d’exemple, en octobre 2004, « Manuel Vicente, le tout-puissant patron de la Sonangol [Société national des hydrocarbures en Angola, NDLR], a adressé une lettre à Thierry Desmarest, le PDG de Total, lui signifiant que l’Etat angolais allait récupérer les concessions du bloc 3/80 qui arrivent à échéance. Stupeur dans les étages supérieurs de la Tour de la Défense, siège de la compagnie (…) D’après nos sources, c’est maintenant le bloc 17 qui va faire l’objet du chantage » [40]. Pendant plusieurs années, le soldat Chirac a tenté de résister aux assauts du Parrain, du moins a-t-il fait semblant. Son épigone, lui, a opté pour la danse du ventre. « Nicolas Sarkozy s’est rendu à Luanda, le 23 mai, les bras chargés de promesses de cadeaux. Le chef de l’Etat a ainsi annoncé la réouverture des bureaux de l’Agence française de développement (AFD), qui avaient fermé suite au refus angolais de payer une dette qui, à l’origine, n’était que de 60 millions FF, soit 9,1 millions d’euros… A peine quelques fûts d’une cargaison de pétrole. Cette dette va sans doute passer à l’ardoise magique en Club de Paris. Une victoire pour le Palais rose. » [41] Il était accompagné des dirigeants de Total, Castel, EADS, Bolloré, CMA-CGM, AIR France, Thales, et de la Société générale. Avant de prendre congé de son homologue, il lui a lancé, les yeux dans les yeux : « Je vous attends à Paris en 2009, vous allez reprendre vos habitudes sur la Côte d’Azur » [42].


Une fois le scandale de l’Angolagate étouffé, le parrain ira peut-être bronzer sur la croisette avec les crèmes solaires de l’Elysée et l’argent spolié aux Angolais, pendant ce temps l’espérance de vie de ses sujets est de 41 ans, 40 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté absolue, 62 % n’ont pas accès à l’eau potable, il y a 8 médecins pour 100 000 habitants et 1 400 décès pour 100 000 accouchements [43]. Dos Santos est au pouvoir depuis 29 ans et n’a pas l’intention de prendre sa retraite, le système Falcone a lui permis de détourner les ressources de l’Etat et d’enrichir sa clientèle…Tant pis. Avant le 6 octobre l’Elysée tient à désamorcer la bombe Angolagate. Les Angolais seront sacrifiés sur l’autel du chiffre d’affaires de Total et des entreprises françaises en Angola. Il y a un an l’“homme de la rupture ” déclarait pourtant la main sur le cœur : « Je veux lancer à tous les Africains un appel fraternel pour leur dire que nous voulons les aider à vaincre la maladie, la famine et la pauvreté et à vivre en paix. Je veux leur dire que nous déciderons ensemble d’une politique d’immigration maîtrisée et d’une politique de développement ambitieuse. Je veux lancer un appel à tous ceux qui dans le monde croient aux valeurs de tolérance, de liberté, de démocratie et d’humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures, à tous les enfants et à toutes les femmes martyrisés dans le monde pour leur dire que la France sera à leurs côtés, qu’ils peuvent compter sur elle » [44]. Le pétrole rend amnésique, tous les psychologues vous le diront.



Communiqué de Survie du 6 octobre 2008 : Angolagate. Les pressions politiques exercées au nom des intérêts économiques français ne doivent pas entraver la justice.

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Afin d’interpeller l’opinion sur la « diplomatie business » de la France en Afrique et ses graves conséquences en terme de soutien aux dictatures et de pillage des ressources naturelles, Survie publiera un dossier intitulé Diplomatie, Business et Dictatures. L’Afrique prise au piège françafricain

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Survie Midi Pyrénées, article pour le journal "L'étranger"

30 Septembre 2008 , Rédigé par survie.midipyrenees@free.fr Publié dans #Actualités françafricaines, communiqués, archives.

Article Pour le journal "L'étranger" de septembre 2008:
L’eau

La file s’étire, interminable serpent chamarré longeant la route à peine rectiligne qui se perd à l’infini, là-bas dans la montagne. Elles sautillent, elles trottinent : il n’y a que des femmes. De tout âge, habillées pour nombre d’un boubou, d’autres emportant dans le dos, noué dans un linge, leur bébé, mais toutes arborant sur la tête, un jerrycan. Il est 6h30 du matin. À Gatumba, Burundi, frontière du Congo, les soldats viennent d’ouvrir la route, c’est-à-dire qu’ils ont lentement tiré sur le côté un étrange amas de barbelés, de planches et de pneus.


Avec tout ce fatras de fil de fer, la barrière était souple, et en rebondissant on aurait juré qu’elle sautait à la gorge des gendarmes qui du coup s’énervaient un peu. De l’autre côté, depuis une heure, s’était massée par petits groupes une multitude de femmes. Chose étonnante pour une si grande assemblée, le silence était total. Certaines s’étaient assises en attendant, prudemment, sans échanger un mot comme si elles écoutaient un concert. Il est vrai que la frénésie des oiseaux tropicaux au point du jour, est en soi un digne événement musical, au moins pour qui l’écoute une première fois. Mais le calme ambiant ne devait rien à une quelconque mélomanie, bien plutôt à une espèce d’abnégation générale, clairement lisible dans le visage fermé de la majorité des présentes. À l’heure dite, elles se sont relevées, ont franchi la barrière et se sont mises en marche pour une randonnée de trente kilomètres aller et retour, pour simplement chercher de l’eau potable.


Jusqu'en 1994, Gatumba n'était qu'un petit village de pêcheurs du Burundi, perché tout en haut du lac Tanganyika, à l'embouchure de la rivière Ruzizi. Mais, cette année-là, avec la guerre, et particulièrement ce que l'histoire du pays  a mémorisé comme «la bataille de Kinama », une majorité des habitants de Kamenge, quartier de Bujumbura avait fui les combats pour venir se réfugier ici, à 25 Km. C'était bien sûr provisoire. Le village s'était alors transformé en un immense camp de déplacés, s'étendant loin au milieu du delta de la Ruzizi. La guerre s'est poursuivie et, malheureusement, en dix ans, le « provisoire » a eu vite fait de se grimer en « définitif ». Bien entendu, le subit agrandissement de Gatumba se fit selon les pires règles d'urbanisation que  l'on puisse imaginer : les maisons de torchis s'agglutinaient dans la plus totale confusion, et les rues, quand elles existaient, finissaient immanquablement par être coupées par une nouvelle construction plantée un matin  en leur beau milieu.


Assez vite, quelques ONG vinrent au secours de la population et, comme jusqu'à présent l'humanité l'a toujours fait, les gens s'étaient un peu adaptés. En ce cas de figure « s'adapter » ne signifie rien d'autre que  survivre en ne mangeant qu'un jour sur deux, par exemple. Boire aussi était un problème. Au début la coopération Italienne venait avec des citernes d'eau potables, il fallait faire la queue, mais... bon. C'était au village, et en général il y en avait pour tout le monde. Puis un jour, les camions ne sont plus venus, mais seulement deux 4X4 de l'ONU, d'où était descendu un type en costume qui  expliqua que dorénavant les Italiens ne viendraient plus. Il ne restait plus qu'une dizaine de sources, des robinets  chez des particuliers, alimentés par le réseau d'eau potable de la capitale, à 25 Km.  Chaque jour, la zone entière était suspendue à ces robinets. Il fallait attendre encore plus longtemps que devant les camions-citernes,   les femmes  passaient leur journée dans les files d'attente, mais c'était toujours au village et c'était gratuit.  De toute façon comment les gens auraient-ils pu payer de l'eau, puisque ici à Gatumba, personne n'avait rien ? Les hommes cultivaient quand ils le pouvaient pour ramener des haricots, du manioc et des bananes, pas de quoi en faire un commerce et, là encore : à qui auraient-ils vendus puisque, on vient de le dire, personne ne possédait le moindre argent ? Donc les femmes passaient la journée à attendre pour l'eau, et les hommes se courbaient aux champs. Ainsi s'organisait la vie du camp...


Et puis un jour, la Regideso (Régie Publique de l'eau du Burundi) cessa d'alimenter les robinets. Il paraît que les usagers ne payaient pas leurs abonnements, depuis très longtemps. On aurait été étonné d'apprendre que les bienheureux détenteurs d'un robinet aient pu échapper à l'épidémie locale de pauvreté. Sinon, ils n'auraient pas habité Gatumba. Il était en plus  hors de question pour eux de songer à vendre l'eau à la foule quotidienne des demandeurs, tant l'indigence servait de seconde peau de chaque habitant du village.


Donc, les robinets s'étaient taris. Sans que personne ne soit venu expliquer pourquoi...

Pourtant, si les villageois avaient pu regarder, il y a six mois, la télévision nationale Burundaise, ils auraient appris, qu'une délégation de la Banque Mondiale  venait de quitter le pays.

Et alors ?

En fait, il leur aurait fallu beaucoup de perspicacité pour découvrir  que le consentement et la négociation d'un énième prêt - était-ce le le 38e ou le 41? - avait été assujetti à de nouveaux ajustements structurels. On demandait au gouvernement de faire des efforts. En particulier de maîtriser les dépenses publiques. La Regideso avait été citée, et sa gestion qualifiée de « désastreuse ». Trop d'impayés. Par exemple.  D'abord changer le directeur et mettre quelqu'un qui saura gérer ce type d'entreprise, prenez celui qu'on vous dira, cela servira d'exemple, pour tous les autres gouffres publics, l'électricité, l'équipement, la banque centrale...


La télévision avait mentionné le nom et exhibé l'image du nouveau patron de l'eau du Burundi, M. Sylvestre, un type très beau dans son costume, qui venait juste de rentrer d'une grande école américaine, que personne ne connaissait au Burundi et encore moins à Gatumba.

C'était sûrement là-bas qu'on lui avait appris le commerce : le client doit payer.

Alors, à grand renfort de déclaration, il avait décrété que dorénavant la Regideso ne perdrait plus d'argent. Un jour, il s'avança même à dire que la société allait en gagner ! Pour installer de bonnes bases, il fallait traquer les mauvais payeurs. À ce régime-là, en un mois, c'était la moitié des abonnés du pays qu'il allait assécher...

Le gouvernement n'avait rien à dire, de toute façon, les objectifs posés par les experts de la Banque mondiale avaient été assortis d'un Sine Qua Non rédhibitoire. Le président ne parlait pas le latin, mais il avait bien compris, et sans ce nouveau prêt, c'était mal barré.



À Gatumba, la Banque Mondiale, les dettes structurelles, les règles du commerce, tout cela ne préoccupait personne. Les robinets étaient simplement secs. Il restait bien le lac, ou plus saumâtre encore, la rivière Rusizi, mais hélas il ne suffisait pas d'être un « murundi »(un habitant du pays) pour  survivre à s'y désaltérer. Alors il n'y avait plus le choix. La source potable la plus proche était celle du « pont aux vaches » à l'entrée de Bujumbura. Il fallait s'y rendre.

Et pour ne rien modifier aux attributions de chacun, c'était aux femmes d'y aller.


Combien sont-elles, ce matin comme les autres jours, à vouer leur existence à cette procession  ? Mille, deux mille ? 

Si l'on considère qu'un litre d'eau est nécessaire par personne et par jour pour survivre, que les jerrycans des femmes font tous cinq litres, que la majorité d'entre elles en emporte deux, l'un sur la tête l'autre à la main, et enfin que Gatumba est approximativement peuplé de 50 000 réfugiés, alors elles doivent être  cinq mille.

La colonne s'égaie, mais personne n'y sourit plus. Aujourd'hui, le soleil est violent. Non, non. Pas violent : assassin. D'autant que pour d'obscures raisons géothermiques, l'aube ne s'accompagne pas de l'habituelle petite brise de conversion, dernier râle nocturne du grand lac Tanganyika longé par la route nationale 1, celle qui va du Congo à Bujumbura. À 7h00 ce matin, toutes souffrent déjà sous les promesses brûlantes que le soleil semble faire pour la journée. Mais personne n'y pense vraiment. En fait, l'événement du jour a eu lieu hier soir, vers 16h00 au poste de Kajaga, vers le milieu du parcours. Les dernières femmes, sur le chemin du retour, se pressaient pour avaler au plus vite les six kilomètres restants, quand soudain la position militaire du bord de route fut attaquée. Surtout n'imaginez pas qu'une « position militaire » de l'armée Burundaise puisse avoir quoi que ce soit de commun avec  un barrage de marines américains en Irak. Il s'agit tout au plus d'une dizaine de jeunes soldats, allongés à l'ombre de quelques phragmytes, kalachnikovs posées à terre et dépensant leur journée à deux activités principales : railler les femmes du cortège et se disputer les deux ou trois bières chèrement acquises par quelques menaces dûment rançonnées.


Ces soldats convergent chaque matin de Bujumbura et du camp de Gatumba, en tête de la grande colonne des femmes. Eux aussi souffrent de la marche à pied pour rejoindre leurs positions du bord de route, cela ne les rend pas pour autant plus  sensibles aux souffrances des femmes de la colonne. De fait, il a longtemps été entretenu dans l'armée Burundaise un très fort sentiment ethniste, et nombre de ces jeunes types issus des quartiers pauvres de Buja ne manifestent  que du mépris pour ces paysans réfugiés depuis dix ans dans le gigantesque camp de Gatumba. Certains s'empresseront de vouloir accoler à cette situation les mots « Hutu » et « Tutsi »,    je m'en abstiens volontairement.


Donc, hier soir, il était 16h00, lorsqu'un petit commando de « FNL », la dernière rébellion du pays, attaqua le poste. Trois soldats, surpris dans leur sieste,    tombèrent aussitôt dans la fusillade, les autres eurent alors vite fait de comprendre que le plus sûr était de fuir.

Surexcités, de jeunes rebelles prirent possession des lieux. Parmi les femmes porteuses d'eau présentes sur la route, certaines crurent reconnaître les fils de telle ou telle voisine. Mais pour autant, nulle trace de sympathie à en attendre. L'affaire fut rondement menée.  Ils érigèrent un barrage de fortune au beau milieu de la route tout en tirant sporadiquement en l'air. Moins de cinq minutes plus tard arriva un minibus Hiace - 36 places officielles, 50 personnes à bord- en provenance de Bujumbura. Le chauffeur stoppa net.  En hurlant les rebelles firent descendre  tous les occupants, sommant chacun de payer au moins 5000 Fbu. L'affaire aurait pu s'arrêter là et ne rester qu'un banal hold-up, comme il s'en déroule  au moins un par semaine entre la capitale et le village Mais une complication était déjà en route, elle avait pris  source un quart d'heure plus tôt, à 15 Km de là. Au poste frontière de Kiliba, le chef de la douane, un homme très opulent, absolument détesté de tous ceux qui pour une raison ou une autre eurent un  jour à franchir la frontière, décidait subitement de rentrer chez lui à Bujumbura. Chacun connaissait le net penchant de cet homme pour la bière, qui, de surcroît avait, lui, les moyens de s'enivrer quotidiennement. À 16H30, totalement saoul dans sa voiture, il fonçait donc tranquillement sur la route nationale 1 et rien, rien, ni même une embuscade rebelle ne pouvait l'arrêter. Les passagers du bus Hiace, les rebelles qui les menaçaient, les dernières femmes de la procession, tous entendirent le sourd ronflement du moteur, virent ce petit point grossir jusqu'à se transformer en un 4X4 Nissan hurlant, se précipitant sur eux. Dans un réflexe commun, rebelles et otages s'écartèrent à temps pour laisser la grosse voiture percuter  l'amoncellement de branches et de barbelés et finalement s'encastrer dans le minibus immobilisé au milieu de la route. La suite fut confuse. Il semble qu'aussitôt les jeunes rebelles se mirent à tirer n'importe comment, avant de vite déguerpir par la bananeraie de la Rukoko à deux kilomètres au nord. Non sans avoir définitivement allongés sous le soleil, onze malheureux passagers du bus, et trois infortunées porteuses d'eau.


La dernière embuscade sanglante remontait à un mois, et depuis ces derniers jours, l'inquiétude commençait à s'estomper dans la caravane quotidienne des femmes.

Ce matin, l'ambiance est de nouveau très tendue. Tous les ventres sont noués, mais l'eau ne peut pas attendre. Il faut prendre le risque.  Alors, en marchant, maintenant les femmes parlent entre elles. Pour tromper le temps, la chaleur et la peur.

Pétries du bon sens de ceux  qui n'ont d'autres éléments d'analyses que les stigmates de leur vie quotidienne, les conversations tournent toujours autour de l'insécurité et de la pauvreté. Pas beaucoup d'optimisme : la guerre tombée sur le pays  il y  a dix ans n'en finit de l'étouffer. Les types qui passent chaque soir dans le village pour dire qu'ici tout le monde est pauvre à cause des Tutsi, que les soldats sont Tutsi, et d'ailleurs c'est vrai que les soldats ne sont pas gentils,   et d'ailleurs c'est vrai que le président était Tutsi, et qui est Tutsi ? Ce sont les grands, mais nous nous sommes petites et pauvres, et les réfugiés Tutsi de la frontière ont voulu nous massacrer cet été, heureusement le FNL les en a empêché en tuant 160 Banyamulenge, dans leur camp. Des femmes et des enfants ?  C'était préventif. Puisqu'ils allaient nous attaquer. Les femmes et les enfants ? Oui, Oui, les femmes et les enfants, mais il y avait des hommes aussi, qui ont fui. Ils sont comme ça les Tutsi, lâches et veules. Ils abandonnent leur femme à la mort... C'est à cause d'eux qu'il n'y a plus d'eau. M. Sylvestre, le directeur de la Regideso, est  un Tutsi. C'est donc ça, il veut nous tuer, toutes et tous. Un par un. Enfant après enfant. C'est pour ça qu'il a coupé l'eau au village... C'est  à cause d'eux que l'on marche ...


Il y a bien des femmes, surtout les vieilles qui disent que ce n'est pas ça. Que c'est la faute aux politiciens. Que le problème c'est la pauvreté. Après tout, ces rebelles, ces militaires, qui sont-ils d'autres que les fils de la nation ?  Tout en marchant, les femmes se racontent encore l'histoire de Félicitée, sis résident  poteau 17, qui perdit en un mois de temps ses deux fils, l'un combattant dans l'armée régulière, l'autre dans la rébellion FDD, tombés dans la même bataille l'un en face de l'autre, alors qu'il jouait ensemble dans le même club de tambours. N'est-ce pas la preuve que tout cela est absurde ?


Voici la tête de la colonne qui passe à Kajaga devant les carcasses fumantes de la voiture du douanier et du minibus Hiace. Les corps ont été retirés, il reste juste  les mouches sur de grandes traces de sang séché. Personne ne ralentit, tout le monde se tait. On perçoit juste de nombreux « Aïe, aïe, aïe... ». Ici, la peur faisande les estomacs dès que l'on entend un coup de feu, c'est-à-dire au moins une fois par jour. Alors, les femmes en passant ne manifestent rien d'autre qu'un fatalisme plat, dénué de la moindre colère. La vie est ainsi, il y a la guerre et la pauvreté c'est tout. Le but de chacun devient juste de retarder au plus les échéances annoncées. Les déchéances plutôt.


Sur les quatre derniers kilomètres, la route borde littéralement le lac. Ici, en d'autres temps, on a pu rêver qu'un jour le Burundi deviendrait un paradis du tourisme, et la procession longe les ruines du club Tanganyika, promis dans les années 80 à devenir un lieu de rêve, où des Allemands, des Espagnols , des Français , des Russes, peut-être même des Américains seraient venus s'allonger sur la plage le jour et dépenser leur argent le soir, dans une boîte de nuit locale. Une chimère. L'assassinat du président Ndadaye, en précipitant le pays dans une guerre interminable le soir du 21 Octobre 1993, est venu rétablir l'ordre des choses. Ici, en Afrique, il y a d'abord la guerre. Le tourisme c'est après.

Jolie, Chérie, Thérèse, Concilie, Leila, Félicité, Ernestine, toutes les autres, avec leur démarche raide, elles n'ont même plus un regard pour le grand hotel-club en ruine, et l'immense écriteau troué de balles qui annonce le « paradis tropical des grands Lacs ». On dit que des « Birobezo » (enfants des rues) dorment dedans, personne ne sait vraiment, quand il y a du vent on entend les portes battre à l'intérieur.


Il est 10h30. Les premières arrivent vers le « pont aux vaches ». Ici coule une rivière où l'on vient désaltérer et faire dormir chaque soir les grands troupeaux de la périphérie. Le matin jusqu'à 11h00, le lieu est une véritable cohue où, à grands renforts de cris, les gardiens cherchent à rassembler leurs vaches. La procession des femmes serpente alors au milieu des immenses cornes de l'espèce locale, un vrai Gymkhana. Mais, ça y est, elles y sont presque. Il se forme un court sentier, il n'y a plus de vaches, seulement une permanence de gens très occupés à attendre. Douaniers jeunes ados, des enfants, quelques vieux, une foule d'hommes désoeuvrés.


Enfin, les grands arbres au bord d'une grande vasque naturelle. La rivière s'y jette, là-bas. Plus bas l'eau est très boueuse, mais sans que l'on sache pourquoi, ici, non. Il fait très chaud, les femmes soufflent et s'affalent à l'ombre des caoutchoucs. C'est un flot continu qui débouche par le petit chemin et le lieu se transforme en une grande agora, d'où fusent maintenant de bruyantes conversations en tout genre. L'humeur est joyeuse, on entend des rires. Parmi les jeunes femmes, certaines se déshabillent et se baignent. Il y a bien des soldats pour les regarder, mais bon, ce sont d'abord des garçons, ils sont tous pareils au fond. De toute façon, il fait trop chaud. Quelques petits vendeurs d'arachides venus de  Bujumbura tentent leur chance. À 50 Fbu le paquet - 3 cents d'euro - ils ne vont pas en vendre beaucoup mais tout de même, cela vaut le coup d'essayer.  Il est vrai que c'est tentant un petit paquet de cacahuètes, aussi pour ce que ça vous étouffe la faim pour la journée. Quelques paquets circulent, sinon des femmes avaient emporté des bananes de Gatumba, cela fait largement un repas. Et puis, il y a toutes les autres qui n'ont rien et s'en contentent.


À midi, les retardataires, en général les plus âgées, arrivent à peine, que les premières repartent. Celles-là emportent un gros jerrycan carré sur la tête et un autre à la main. Pour celles qui ont emmené leur bébé, cela fera quinze kgs de charge.

La route sera fermée par les soldats à 17h00, il faut entre trois et quatre heures pour parcourir la distance, si l'on veut pouvoir se reposer un peu sur le retour, autant repartir au plus vite. Alors reprend la musique des pieds claquant dans les tongs, la lumière est blanche, le soleil tient sa promesse du matin, l'air est étouffant, il faut même boire un peu de l'eau des bidons. L'après-midi, la route est assez fréquentée. De vieux semi remorques de cinquième main, emportant on ne sait quoi vers le Congo, se lancent sur les grandes lignes droites de la route et gèrent leur vitesse de pointe - aux alentours de 50 km/h - en klaxonnant. Difficile d'expliquer par quel miracle ces monstres paléontologiques de l'ère automobile parviennent encore à rouler, oui, c'est cela : Dieu doit avoir voulu aider ainsi l'économie du pays, à moins que ce ne soit là l'affirmation du génie des mécaniciens locaux. Une chose est certaine : ils n'ont pas de frein. Pas d'espoir de survie pour celle qui traîne au milieu de la route. Une solution pour les femmes de la procession pourrait être de s'agripper à la structure du camion, et de voyager clandestinement avec lui, hélas toutes les places sont déjà prises depuis Bujumbura par les nuées de vélo taxis, qui se font tracter ainsi à moindre frais sans pédaler.


Vers 14h00, c'est aussi l'heure des gros tout-terrains  rutilants. D'abord il y a ceux de l'ONU qui foncent à toute vitesse vers une cent millième nouvelle urgence humanitaire. Ceux-là, pas la peine de demander un « Lift ». Ils ne prennent jamais personne, et roulent à cent à l'heure dans leur bulle climatisée et leurs vitres teintées. Mais il y aussi les 4X4 des ONG, et là c'est différent. Il arrive qu'une femme tende le bras et que la voiture s'arrête pour l'emporter. En réalité c'est toujours le fait d'un humanitaire fraîchement débarqué, encore sous le joug de sa compassion, au bout d'un an de séjour, l'expérience, l'habitude, la prudence, le règlement lui commanderont de ne plus s'arrêter.


Statistiquement, les femmes de la procession n'ont donc qu'une chance minime de se voir épargnée  par cette longue marche du retour. D'ailleurs elles n'y pensent même pas. Alors, elles chantent entre elles maintenant. Des Akazehe, superbe tradition  où l'une d'elles lance une phrase, reprise par le cœur de ses voisines. On rit un peu, elles se lancent des blagues de femmes, se parlent de leurs maris, de leurs enfants, s'encouragent, s'engueulent, s'aident à équilibrer le bidon sur la tête, bref, elles sont ensemble. Une véritable petite communauté, cette procession. Certainement avec ses lois tacites, ses coups bas, ses héroïsmes, et une histoire forgée jour après jour dans la dureté de cette vie. Cependant, en  colonne sur le bas-côté, il n'y en a aucune pour s'interroger plus avant sur cette obscure raison qui, d'année en année, leur complique à chaque fois un peu plus l'existence.  C'est juste comme ça. Un temps il y avait des jeunes types qui étaient passés pour leur expliquer, que la vie pouvait être différente,   que l'Afrique pouvait exister sans la guerre et lutter contre la pauvreté, mais cela n'a pas duré longtemps, on n'a jamais su ce qu'ils étaient devenus. Il y a aussi eu le massacre de l'année dernière. Là, à Gatumba, ils sont tous venus, les présidents les ambassadeurs, les ministres. Ils ont fait un discours, et ils ont tous dit que cela ne pouvait pas continuer comme ça...Oui.


En attendant, il faut marcher. Et cela peut durer, car ces femmes dont l'univers se borne à une maison de terre et au long fil du bas-côté de la RN1, ne peuvent pas imaginer que la vie puisse être différente. Ce monde qui les frôle en voiture chaque après-midi dans des carrosseries blindées n'est pas le leur. Ce n'est pas un choix mûrement réfléchi, c'est juste comme ça. Comment pourraient-elles seulement concevoir que là-bas, de l'autre côté de l'Atlantique une jeune fonctionnaire chef de la division Grands Lacs à la Banque Mondiale, vient de se voir accordé une prime pour son audit de l'économie Burundaise et les solutions qu'il a préconisé. Qu'est ce que ce type, fier d'accompagner chaque semaine ses deux enfants dans une piscine de la 39e rue, peut avoir en commun avec Anézie du poteau 17 à Gatumba, veuve déplorant la disparition il y a un mois de Ladislas, son fils aîné, pêcheur, emporté devant tout le monde par Gustave, ce crocodile gigantesque qui vient régulièrement prélever quelques vies tout prés du village ?


Ce type de New York, lui faut-il souffrir de la chaleur, avoir peur des embuscades, des soldats, de la faim ? Se paie-t-il une bière une fois par an ou chaque soir ? Mange-t-il des cacahuètes lui aussi ? Marche-t-il en tong, parfois ? Connaît-il les crises de malaria, le sida, espère-t-il vivre vieux ? Ici, c'est 39 ans, et là-bas ?


Ces questions, aucune des femmes de la procession ne les poseront jamais, il est beaucoup plus important de rentrer à l'heure, pour cela il faut commencer par ne pas douter. Sur le dernier kilomètre, la procession s'étire interminablement et rattrape les maris qui eux rentrent de leur petits carrés cultivés. Certains portent d'énormes fagots de bambous qu'ils feront sécher avant de s'en servir pour  renforcer leur maison. Les conversations se tarissent. Il est de toute façon assez rare qu'une femme soit côte à côte avec son propre mari, autant ne pas parler avec celui d'une autre.


Gatumba. Les enfants jouent entre les maisons, ceux qui ne vont pas à l'école, c'est-à-dire la majorité. En effet, pour être scolarisé il faut s'acquitter des « minervals », (frais de scolarité, 15 Euro par an), une fortune inaccessible. Dans le meilleur des cas, les parents ne peuvent payer que pour un seul des enfants, alors il faut en désigner un qui ira à l'école. Les autres devront s'en passer, et s'intégrer dans cette autre communauté de bric et de broc, celle des enfants de Gatumba.


Le village est jalonné par les poteaux d'une ligne électrique transfrontalière. Le numéro apposé par les bâtisseurs de la ligne sert d'adresse à chacune. Celle qui réside au poteau 43, doit faire au moins 1 kilomètre de plus que la bienheureuse du poteau 5. C'est ainsi, la vie n'est pas égale avec tout le monde. Félicité, Jeanne, Sylvie, Sheila, rentrent chez elles. Vite, elles donneront à boire aux nouveau-nés, aux enfants, et lanceront avec la voisine la cuisson des haricots, et du riz. Bientôt, il fera nuit. Il faudra que ce soit prêt avant. Il s'installe alors une étrange ambiance faite de la rumeur  des petits transistors que partout au pays des collines l'on se colle à l'oreille et de la lueur orangée des feux sous les casseroles. Parfois, on entend la « musique » : une ou deux rafales de kalachnikov, pas de quoi fouetter un chat, sauf quand c'est tout proche. Ça arrive.


Il n'y a pas de lumière à Gatumba, la nuit on ne peut rien savoir, mais le jour non plus d'ailleurs. Parler un peu, lentement. Attendre. S'accroupir. Respirer. Des cris au loin.

Il est temps d'aller s'allonger sur la natte, de toute façon il n'y a rien d'autre à faire, et demain il faut aller chercher de l'eau.    

                                                                                                                                                       Vincent Munié

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